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Vincent Lambert, par Xavier Bazin

Cher(e) ami(e) de la Santé,

« Ce que m’a dit mon patient m’a totalement stupéfié ». Voilà ce qu’a déclaré le Dr Richard Mansfield, grand cardiologue, encore sous le choc. Son patient est un jeune homme de 32 ans, victime d’un arrêt cardiaque.
Quand il arrive aux urgences, il ne respire pas, et son cœur ne bat plus. Son électrocardiogramme (ECG) est plat.
Ses chances de survie sont infimes, mais le Dr Mansfield fait tout pour le sauver. Vite, il intube le jeune homme, lui donne de l’oxygène, et lui fait un massage cardiaque. Les minutes passent… une demi-heure au total… sans résultat.
Pour le Dr Mansfield, il est inutile de s’acharner : le jeune homme est mort. Il sort de la chambre pour rédiger le rapport de décès. Soudain, il a un doute sur le nombre d’ampoules d’adrénaline injectées au patient.

Il revient alors dans la chambre pour vérifier ce détail – 15 minutes après en être sorti. Là, il s’aperçoit que les lèvres de son patient ont repris des couleurs ! Il s’approche… et réalise que son cœur s’est remis à battre faiblement ! L’équipe médicale revient en catastrophe pour reprendre la réanimation…et cette fois, ils réussissent à le réveiller ! Une semaine plus tard, quand le Dr Mansfield vient voir son patient, une immense surprise l’attend. Déjà, le jeune homme a complètement récupéré, sans la moindre séquelle cérébrale, ce qui est rarissime. Mais ce qui bouleverse le Dr Mansfield, c’est que son patient lui explique avoir « vu » toute la scène de réanimation ! Il a vu le Dr Mansfield arrêter les soins, quitter la chambre, revenir… et recommencer les soins. « Il connaissait tous les détails, ce qui est impossible, car non seulement son cœur ne battait pas, mais il a fallu encore 15 minutes de plus pour le réanimer ! Je ne m’explique toujours pas comment cela a pu se produire »[1]. De fait, c’est totalement impossible, en théorie. D’après nos connaissances actuelles, il ne peut pas y avoir de conscience sans battements cardiaques. Lorsque le sang n’arrive plus au cerveau, l’activité électrique du cerveau s’arrête. Et si votre cerveau ne fonctionne plus, vous ne pouvez pas être conscient de quoi que ce soit. Et pourtant…
La même histoire bouleversante est arrivée à Pamela Reynolds, une mère de famille américaine.

En état de « mort clinique », elle voit et entend tout

En 1991, ses médecins lui découvrent un anévrisme au beau milieu du cerveau. Pamela est en danger de mort : son anévrisme peut « éclater » à tout moment, et la tuer. Alors son neurochirurgien, le Dr Robert Spetlzer, décide de tenter l’impossible. Pour atteindre l’anévrisme, il décide de vider totalement de son sang le corps de Pamela. Pour la maintenir en vie pendant l’opération, il faut abaisser son corps à 15,5 degrés. C’est donc dans cet état glacial que Pamela a été placée, en arrêt cardiaque, pendant 45 minutes. Évidemment, son cerveau n’émet plus aucun signal électrique (électroencéphalogramme plat).  D’après les connaissances scientifiques actuelles, il est donc impossible qu’elle puisse voir ou entendre quoi que ce soit. Mais à son réveil, elle raconte ce qui s’est passé avec une précision inouïe : « J’ai remarqué que mon médecin avait un instrument dans la main qui ressemblait à une brosse à dents électrique. Il y avait un emplacement en haut qui ressemblait à l’endroit où on met l’embout. Mais quand je l’ai vu, il n’y avait pas d’embout. J’ai regardé vers le bas et j’ai vu une boîte ; elle m’a fait penser à la boîte à outils de mon père quand j’étais enfant. »[2] Et en effet, c’est exactement ce qui s’est passé.
Une enquête rigoureuse, menée par le cardiologue américain le Dr Michaël Sabom, a établi que tout ce qu’avait raconté Pamela Reynolds était exact. Elle a donné quantité de détails très précis… alors que son cerveau ne fonctionnait pas ! Ce n’est pas un cas isolé. Dans son livre best-seller Que se passe-t-il lorsque nous mourons, le Dr Sam Parnia a recueilli de nombreux témoignages de médecins urgentistes qui ont eu la même expérience.
C’est très rare, mais cela arrive. Et cela nous rappelle que la science et la médecine sont loin, très loin d’avoir tout compris au cerveau et à la conscience. Personne au monde n’est capable de savoir avec certitude ce que « vit » quelqu’un dont le cerveau ne fonctionne pas, ou pas normalement. Ce qui m’amène au cas bouleversant de Vincent Lambert :

Vincent Lambert, entre la vie et la mort

Vincent Lambert a été victime d’un grave accident en 2008. Depuis, il a vécu l’essentiel de son existence allongé dans un lit d’hôpital. Selon les médecins, il oscille entre un état de « conscience minimale » et un état « végétatif ».
Il dort la nuit, il est éveillé le jour, et il réagit à des stimulations externes. Pour mieux comprendre son état, il faut regarder quelques secondes cette vidéo de 2015, où il mange à la cuiller, ou celle-ci, encore plus récente, de mai 2019. Comme vous le voyez, Vincent n’est ni intubé, ni sous respiration artificielle. Tous ses organes sont en pleine santé. Mais il ne peut s’alimenter seul, alors il est nourri par une sonde. Pour faire mourir Vincent, il faut donc arrêter de l’alimenter, et attendre que ses organes défaillent. C’est ce que son médecin a décidé une première fois, en 2013. En accord avec son épouse, mais sans prévenir ses parents, l’équipe médicale a arrêté de le nourrir.
Mais Vincent a tenu bon : il a survécu pendant 31 jours. In extremis, ses parents ont obtenu de la Justice que l’on se remette à l’alimenter normalement. Je vous passe les dizaines de procédures judiciaires, le dramatique déchirement de la famille, et toutes les souffrances de cette affaire. Tout récemment, le 20 mai 2019, l’équipe médicale a de nouveau cessé de l’alimenter. Cette fois, contrairement à 2013, son médecin a aussi décidé de cesser de l’hydrater. Sans eau, il n’avait aucune chance de survivre au-delà de quelques jours. Mais 32 heures à peine après cette décision, un tribunal a de nouveau ordonné le rétablissement des soins. Vincent peut vivre… jusqu’à la prochaine décision judiciaire. Ces allers-retours entre la vie et la mort, dans un contexte de déchirement familial, est profondément bouleversant. Toutes mes pensées vont à Vincent, à son épouse, à ses parents, à ses frères et sœurs et à tous ceux qui accompagnent ce jeune homme depuis 10 ans. Mais je tiens vraiment à aborder le fond de cette affaire avec vous. J’ai lu et entendu trop de mensonges. Il y a trop de violence verbale, trop de désinformation.
Bien sûr, personne ne peut prétendre avoir la « vérité » sur une affaire aussi sensible. Je suis preneur de vos réactions et sentiments, en commentaire de ce message. Mais voici ce que nous savons et que vous devez absolument savoir :

Qui peut dire que Vincent est inconscient et que son état est « irréversible » ?

Pour certains médecins, Vincent est condamné à être un « légume » toute sa vie. Dans leur dernière expertise, les médecins ont conclu que Vincent est dans un « état végétatif », sans le moindre « signe d’un état de conscience minimale ». Selon ces experts, quand Vincent vous suit du regard, pleure ou réagit à un son, ce ne sont que des actes « réflexes », sans conscience. Mais cette expertise est contestée. Le Professeur Xavier Ducrocq, neurologue, a regretté que « cet avis, affirmé en seulement 1h30 d’examen », soit aussi péremptoire : « L’état de santé, d’éveil de ces patients est très fluctuant et l’évaluation aurait nécessité au minimum de répéter les examens cliniques sur plusieurs jours. » Pour le Dr Catherine Kiefer, médecin de réadaptation dans un hôpital qui compte six patients dans le même état que Vincent Lambert :« Ces types de patients sont très particuliers car leur état est fluctuant. Il faut les observer pendant trois semaines au minimum, avec des stimulations tous azimuts. » D’ailleurs, en 2011, la première analyse avait conclu que Vincent avait bien une conscience minimale, avec « persistance d’une perception émotionnelle et l’existence de possibles réactions à son environnement ».    En 2015, le Dr Bernard Jeanblanc avait déclaré : « pour l’avoir vu récemment, Vincent n’est pas en état végétatif, mais en situation d’état pauci relationnel », c’est à dire avec une conscience minimale. Et pour la mère de Vincent aussi, c’est une certitude : Vincent peut communiquer. Pour s’en apercevoir, dit-elle, il faut passer un peu de temps avec lui. Avec de l’amour et de l’attention, elle sent qu’il lui arrive d’être conscient. Qui peut trancher entre ces tous ces avis contradictoires ?
La réponse est : personne. Car notre compréhension scientifique du cerveau et de la conscience est trop limitée. Personne au monde ne peut savoir avec certitude ce que vit vraiment Vincent Lambert. Et surtout, personne ne peut affirmer que son état est « irréversible ». S’il y a bien une certitude, c’est que nous ne savons pas comment son état peut évoluer. Car de nombreux cas « inattendus » d’amélioration ou de guérison se produisent régulièrement :

Les médecins s’apprêtent à donner ses organes… mais il se réveille !

Prenez le cas du jeune Trenton McKinley, victime d’un grave accident à 13 ans[3]. Il fait plusieurs arrêts cardiaques, dont un qui a privé son cerveau d’oxygène pendant 15 minutes. Pour ses médecins, il ne fait alors aucun doute que Trenton sera un « légume » toute sa vie. Du coup, ses parents prennent la décision d’arrêter « l’acharnement thérapeutique ». Ils autorisent même l’hôpital à donner les organes de Trenton à 5 autres enfants. Mais la veille du jour où les médecins devaient le « débrancher », Trenton sort de son coma et revient à la vie ! Il doit suivre une longue rééducation, mais c’est tout sauf un « légume » : Il a même gardé son sens de l’humour : « plus de corvée vaisselle pour moi », a-t-il déclaré à la télévision. « Passer de l’absence totale d’ondes cérébrales à, maintenant, la marche, la parole et la lecture, et même les maths, c’est un miracle ! », s’est émerveillée sa mère.
Miracle ou pas, cette histoire montre que la médecine doit être humble face aux mystères du cerveau et de la conscience.
C’est d’autant plus vrai qu’on observe même des améliorations impressionnantes après 10, 15 ou 20 ans en état végétatif ! 

Des améliorations cérébrales stupéfiantes après plus de 15 ans de coma

Prenez le cas étonnant de Terry Wallis. En 1984, ce jeune homme de 19 ans a un grave accident de voiture.
Il tombe dans le coma, avec de graves lésions cérébrales. Pour ses médecins, non seulement il ne se réveillera jamais… mais avec son « cerveau en compote », il est condamné à rester dans un état végétatif à vie. Mais en 2003, Wallis se met à parler, puis bouger. Il finit par réaliser avec stupeur que le président des Etats-Unis n’est plus Ronald Reagan ! Ce qui s’est passé, aucun médecin ne pouvait l’anticiper, vu ce qu’on savait à l’époque.
Figurez-vous que, pendant son coma, le cerveau de Wallis a développé de nouveaux circuits neuronaux qui ont remplacé ceux qui avaient été détruits dans l’accident ! Encore plus fort : parmi les nouvelles connexions qui se sont formées, certaines « n’existent pas dans un cerveau normal »[4] ! Cela veut dire que les possibilités du cerveau sont immenses… et que des améliorations sont toujours possibles ! Cela veut dire qu’on peut passer d’un état végétatif à un état de conscience[5] ! Et c’est encore plus vrai aujourd’hui, en 2019 avec les avancées de la science. Tout récemment, un homme qui a vécu en état végétatif pendant 15 ans a retrouvé la conscience, grâce à une thérapie de pointe[6]. Voici ce qu’en dit le journal Le Monde, en 2017 :« Il était plongé depuis quinze ans dans un état « d’éveil non répondant », souvent encore nommé « état végétatif ». Cet homme, aujourd’hui âgé de 35 ans, a récupéré un état de conscience minimale.Comment ? Grâce à une intervention neurochirurgicale : la stimulation électrique répétée d’un nerf crânien, le nerf vague ».[7] Comme l’explique le professeur Steven Laureys, les conséquences de cette nouvelle thérapie sont immenses : « Un vieux dogme voudrait qu’il n’existe aucune chance d’amélioration chez les patients sévèrement cérébrolésés depuis plus d’un an. Mais ce dogme est faux, comme le confirme ce cas. La plasticité cérébrale, cette capacité de remodelage et d’adaptation de notre cerveau, est parfois étonnante ». Et c’est ce qui me révolte profondément dans le cas de Vincent Lambert :
A aucun moment, on ne lui a donné une chance d’améliorer son état !

Incarcéré dans une chambre d’hôpital depuis 10 ans

Depuis 10 ans, Vincent Lambert est allongé sur son lit d’hôpital, au CHU de Reims, sans interruption, ou presque.
Non seulement on n’a pas essayé cette thérapie de « stimulation du nerf vague », pourtant découverte par une équipe de recherche française……mais c’est bien pire : on ne l’a même pas mis dans les conditions minimales pour qu’il fasse des progrès… et vive dans des conditions décentes ! Je m’explique : aujourd’hui en France, environ 1 700 personnes sont dans le même état que Vincent Lambert. Beaucoup d’entre elles sont prises en charge dans des unités spécialisées, parfaitement adaptées à leur état. Il y en a environ 150 en France. Et elles offrent aux patients toutes sortes de stimulations très intéressantes pour le cerveau : de la musique, du goût, du « toucher-massage ».
Pour Eric Vérin, professeur de médecine physique et de réadaptation, « Avec des moyens adaptés de communication et d’échange, vous pouvez voir apparaître de petits progrès »[8]. Dans ces unités, les patients bénéficient de l’intervention de kinesithérapeutes, d’ergothérapeutes et d’ortophonistes deux à trois fois par semaine minimum. « Il est hors de question que la journée se passe dans le lit et dans la chambre : les patients sont levés, habillés, mis dans des fauteuils adaptés et vont rejoindre d’autres personnes pour créer une vie sociale. » Ces femmes et ces hommes peuvent sortir à l’extérieur, sentir une brise d’air frais, entendre le chant d’un oiseau.
Mais pour Vincent Lambert, RIEN de tout cela. Il a juste le droit d’être allongé sur un lit d’hôpital, regarder le plafond et attendre la mort. Selon Edwige Richer, neurologue retraitée d’une de ces unités : « Si Vincent Lambert avait été dans une autre unité, il n’aurait pas perdu le temps qu’il a perdu là ». Cinq juges de la Cour européenne des droits de l’homme s’en sont également émus : « Nous ne comprenons pas pourquoi le transfert de Vincent Lambert dans une clinique spécialisée, où l’on pourrait s’occuper de lui, a été bloqué par les autorités »[9]
Pour moi, c’est profondément choquant, quoi qu’on pense du fond de cette affaire. Et je voudrais aller encore plus loin. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le cas Vincent Lambert n’a rien à voir avec le débat « classique » sur l’euthanasie :

Ne surtout pas confondre avec les cas d’euthanasie

Au départ, la question de l’euthanasie se posait uniquement pour des personnes :

  • En phase terminale (fin de vie) et atteintes d’une maladie incurable ;
  • Victimes d’épouvantables souffrances physiques et/ou psychologiques ;
  • Et ayant à plusieurs reprises manifesté leur volonté de mourir.

Mais Vincent Lambert ne correspond à aucune de ces caractéristiques :

  • Il n’est absolument pas en « fin de vie » : il peut vivre des années, voire des dizaines d’années dans son état ;
  • Il n’est pas atteint d’une « maladie mortelle » : certes, il est très lourdement handicapé, en état « végétatif » ou de « conscience minimale », mais tous ses organes vitaux fonctionnent correctement ;
  • Toutes les expertises s’accordent pour dire qu’il est impossible de savoir s’il « souffre » ou non ;
  • Et il n’est clairement pas en état de dire s’il souhaite mourir ou continuer à vivre.

J’insiste sur ce point. Ceux qui souhaitent le laisser mourir disent qu’il s’agit de le libérer d’une vie indigne d’être vécue. Mais qu’en savent-ils ? Rien. Les experts qui l’ont examiné se sont hasardés à dire ceci :  « La limitation extrême ou totale de ses capacités d’accès à la conscience, de communication, de motricité, d’expression de sa personnalité, l’altération irréversible de son image lui portent atteinte à un point qui n’est pas acceptable par lui-même et par son épouse et tutrice ». Pour moi, c’est une affirmation totalement gratuite. L’état de Vincent est peut-être intolérable pour son épouse (ce qui est éminemment compréhensible), mais personne au monde ne peut dire ce qu’en pense Vincent lui-même ! A l’inverse, les parents de Vincent Lambert sont persuadés que leur fils souhaite vivre, « s’accroche à la vie » :  « Il n’aurait en effet pas tenu 31 jours sans alimentation s’il n’avait pas trouvé en lui une force intérieure l’appelant à se battre pour rester en vie. À l’inverse, tous les soignants de patients en état de conscience altérée le disent : une personne dans son état qui se laisse aller meurt en dix jours. »
C’est peut-être une indication, mais pas une preuve définitive. Je répète que personne ne peut savoir ce que veut Vincent aujourd’hui. Alors, dans le doute, faut-il arrêter de l’alimenter pour le faire mourir ?

Nourrir quelqu’un, est-ce de l’acharnement ?

Depuis la loi Claeys-Leonetti, l’alimentation artificielle est considérée comme un « traitement médical ». Personnellement, je trouve ça très troublant. Dans le cas d’une machine qui aide à respirer, les choses sont claires : c’est bien un traitement, une « assistance respiratoire ». Si on vous « débranche », vous mourrez parce vous ne pouvez pas respirer sans appareillage. Mais pour l’alimentation, c’est différent. Personne au monde ne peut survivre sans boire ni manger. Nourrir quelqu’un, même via une « sonde », ne me paraît pas être un « traitement médical ». N’oublions pas que beaucoup de gens ne sont pas capables de se nourrir tout seul : les bébés, bien sûr, mais aussi beaucoup de personnes âgées dépendantes. J’ai une grande tante aveugle, qui ne pourrait pas survivre si on ne la nourrissait pas. Certaines personnes âgées ont des problèmes de déglutition et doivent être nourries par sonde. Du coup, la question se pose : alimenter quelqu’un, est-ce vraiment de « l’acharnement thérapeutique », ou de « l’obstination déraisonnable » ? Si vous regardez bien, les conditions de la mort de Vincent Lambert sont assez dérangeantes. S’il meurt, c’est uniquement parce qu’on arrête de le nourrir et de l’hydrater. Vincent Lambert n’est pas branché à des appareils compliqués. Il pourrait parfaitement vivre dans une maison ou un appartement normal, avec une sonde alimentaire et des proches qui prennent soin de lui. Écoutez ce que dit Philippe, médecin lui-même et papa d’un jeune homme qui est dans un état similaire à celui de Vincent Lambert : « J’avoue que lorsque j’ai pris conscience, fin 2013, qu’il était question de mettre fin à l’hydratation et à l’alimentation d’un jeune homme en état végétatif chronique, je suis tombé de l’armoire ! Je me suis rendu compte que demain, je pourrais être pris à partie par un médecin qui me dirait : “Ce que vous faites de votre fils, c’est de l’obstination déraisonnable”. Aujourd’hui, il mange par la bouche, mais il est tout à fait possible que demain, s’il est affaibli, il soit lui aussi nourri grâce à une sonde, comme Vincent Lambert ».[10] Ce malaise, beaucoup de familles l’ont ressenti. « Un jour, la sœur d’une patiente fait irruption dans mon bureau, énervée et émue, a raconté un médecin qui s’occupe de patients dans le même état que Vincent Lambert. Elle me dit : “Promettez-moi que vous ne ferez jamais mourir ma sœur de faim et de soif ». Pour certains médecins, il est faux de dire que Vincent Lambert pourrait « mourir de soif », puisqu’il n’est pas conscient. Mais si on en était sûr à 100 %, pourquoi était-il prévu de donner à Vincent Lambert des anti-douleurs, une « sédation profonde et continue », et de lui humidifier régulièrement la bouche pour éviter la sensation de soif ? Personnellement, je pense qu’il faut avoir de très bonnes raisons pour laisser mourir quelqu’un de cette manière.

Que vaut la volonté de quelqu’un en pleine santé ?

Selon l’épouse de Vincent et certains de ses frères et sœurs, Vincent « n’aurait pas voulu vivre comme ça ». Ils disent que Vincent s’était exprimé en ce sens. Mais très honnêtement, cela ne me paraît pas déterminant.
Déjà, il faudrait savoir ce que voulait vraiment Vincent, dans le détail. Peut-être qu’il était contre « l’acharnement thérapeutique », mais qu’il aurait voulu qu’on lui laisse une chance minime de progresser, en le plaçant dans une unité adaptée. Peut-être qu’il était contre « l’obstination déraisonnable », mais qu’il ne voulait pas non plus qu’on le laisse mourir de déshydratation ! Peut-être qu’il s’imaginait que l’état « végétatif » était indigne, invivable… et qu’il ne ressent plus du tout la même chose aujourd’hui ! Encore une fois, on n’en sait rien. Comme le dit très justement le Dr Sabine Paliard-Franco : « Tout le monde sait que lorsque l’on est fort et bien portant, l’on peut lancer à la volée, à qui veut l’entendre et avec conviction, qu’on ne supporterait pas d’être un légume, et qu’il ne faudrait pas en cas d’accident insister pour être maintenu en vie… Or nous le constatons bien, nous médecins expérimentés dans ces questions de fin de vie, que la plupart des malades, une fois la maladie ou le handicap présents, trouvent d’autres ressources insoupçonnées, physiques, morales et spirituelles, pour lutter contre la maladie et partent souvent contre toute attente lorsqu’ils ont accompli ce qu’ils avaient à faire »[11]. C’est un fait également très connu des chercheurs en psychologie : nous autres, êtres humains, sommes très mauvais pour anticiper ce qui va nous donner du bonheur ou du malheur. Ainsi, des millions de personnes jouent au « loto » dans l’espoir de transformer leur vie. Mais des études montrent qu’après quelque mois d’exubérance, les gagnants du loto retrouvent peu ou prou leur niveau de bonheur initial. Et on observe la même chose pour les tétraplégiques : après des mois de profonde dépression, ils ont tendance à retrouver leur niveau de bonheur antérieur à leur accident.
Le grand physicien Stephen Hawkins, enfermé dans son corps gravement handicapé pendant 55 ans, explique ce paradoxe : « mes espoirs ont été réduits à néant lorsque j’avais 21 ans. Depuis, chaque chose est un bonus ».
Et oui : on n’imagine pas à quel point on peut prendre goût à des bonheurs simples lorsqu’on est en situation de lourd handicap. Voilà pourquoi je ne suis pas totalement convaincu par les « directives anticipées », celles qu’on vous demande d’écrire noir sur blanc, dans le cas où un accident vous arriverait. Je pense que personne ne peut vraiment savoir comment il réagira, quand cela lui arrivera. Et dans le doute, il me semble qu’il est difficilement justifiable de faire mourir quelqu’un, surtout si ses parents y sont farouchement opposés. En l’absence de volonté claire, en l’absence de souffrance manifeste, et en l’absence de consensus familial, il est troublant de vouloir mettre fin à une vie humaine. Alors je le demande solennellement : Pitié pour Vincent Lambert. Quoi qu’il arrive, sortez-le maintenant de sa chambre d’hôpital. Et installez-le au plus vite dans une unité qui prendra soin de lui dignement.

Xavier Bazin
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PS : pour compléter, voici de larges extraits de l’excellent avis dissident de 5 juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme[12] (ils ont été mis en minorité par 12 autres juges, qui ont jugé que laisser mourir Vincent n’était pas contraire aux droits de l’homme) :
 « Nous regrettons de devoir nous dissocier du point de vue de la majorité. Après mûre réflexion, nous pensons que ce qui est proposé revient ni plus ni moins à dire qu’une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer ses souhaits quant à son état actuel, peut, sur la base de plusieurs affirmations contestables, être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et que de plus la Convention est inopérante face à cette réalité. Nous estimons non seulement que cette conclusion est effrayante mais de plus – et nous regrettons d’avoir à le dire – qu’elle équivaut à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables.
Nous voudrions préciser d’emblée que, s’il s’était agi d’une affaire où la personne en question (Vincent Lambert en l’espèce) avait expressément émis le souhait qu’il lui soit permis de ne pas continuer de vivre en raison de son lourd handicap physique et de la souffrance associée, ou qui, au vu de la situation, aurait clairement refusé toute nourriture et boisson, nous n’aurions eu aucune objection à l’arrêt ou la non-mise en place de l’alimentation et de l’hydratation.
Selon les éléments disponibles, Vincent Lambert se trouve dans un état végétatif chronique, en état de conscience minimale, voire inexistante. Toutefois, il n’est pas en état de mort cérébrale – il y a un dysfonctionnement à un niveau du cerveau mais pas à tous les niveaux. En fait, il peut respirer seul (sans l’aide d’un respirateur artificiel) et peut digérer la nourriture (la voie gastro-intestinale est intacte et fonctionne), mais il a des difficultés pour déglutir, c’est-à-dire pour faire progresser des aliments solides dans l’œsophage. Plus important, rien ne prouve, de manière concluante ou autre, qu’il ressente de la douleur (à distinguer de l’inconfort évident découlant du fait d’être en permanence alité ou dans un fauteuil roulant).
Nous sommes particulièrement frappés par une considération développée par les requérants devant la Cour dans leurs observations du 16 octobre 2014 sur la recevabilité et le fond (paragraphes 51-52). Cette considération, qui n’est pas réellement contestée par le Gouvernement, est la suivante : « La Cour doit savoir que [Vincent Lambert], comme toutes les personnes en état de conscience gravement altérée, est néanmoins susceptible d’être levé, habillé, placé dans un fauteuil, sorti de sa chambre. De nombreuses personnes dans un état similaire à celui de Monsieur Lambert, sont habituellement résidentes dans un établissement de soins spécialisé, et peuvent passer le week-end ou quelques vacances en famille (…). Et, précisément, leur alimentation entérale permet cette forme d’autonomie. Le docteur Kariger avait d’ailleurs donné son accord en septembre 2012 pour que ses parents puissent emmener Monsieur Vincent Lambert en vacances dans le sud de la France. C’était six mois avant sa première décision de lui supprimer son alimentation… et alors que son état de santé n’avait pas changé ! »
Il ressort des éléments soumis à la Cour que l’alimentation par voie entérale occasionne une atteinte minimale à l’intégrité physique, ne cause aucune douleur au patient et, avec un peu d’entraînement, pareille alimentation peut être administrée par la famille ou les proches de M. Lambert (et les requérants se sont proposés pour le faire), même si la préparation alimentaire doit être élaborée dans une clinique ou dans un hôpital.
Dans ce contexte, nous ne comprenons pas, même après avoir entendu les plaidoiries dans cette affaire, pourquoi le transfert de Vincent Lambert dans une clinique spécialisée (la maison de santé Bethel) où l’on pourrait s’occuper de lui (et donc soulager l’hôpital universitaire de Reims de ce devoir) a été bloqué par les autorités.
En d’autres termes, Vincent Lambert est vivant et l’on s’occupe de lui. Il est également nourri – et l’eau et la nourriture représentent deux éléments basiques essentiels au maintien de la vie et intimement liés à la dignité humaine.
Nous posons donc la question : qu’est-ce qui peut justifier qu’un État autorise un médecin (le docteur Kariger ou, depuis que celui-ci a démissionné et a quitté l’hôpital universitaire de Reims, un autre médecin), en l’occurrence non pas à « débrancher » Vincent Lambert (celui-ci n’est pas branché à une machine qui le maintiendrait artificiellement en vie) mais plutôt à cesser ou à s’abstenir de le nourrir et de l’hydrater, de manière à, en fait, l’affamer jusqu’à la mort ? Quelle est la raison impérieuse, dans les circonstances de l’espèce, qui empêche l’État d’intervenir pour protéger la vie ? Des considérations financières ? Aucune n’a été avancée en l’espèce. La douleur ressentie par Vincent Lambert ? Rien ne prouve qu’il souffre. Ou est-ce parce qu’il n’a plus d’utilité ou d’importance pour la société, et qu’en réalité il n’est plus une personne mais seulement une « vie biologique » ?
Ainsi que nous l’avons déjà souligné, il n’y a pas d’indications claires ou certaines concernant ce que Vincent Lambert souhaite (ou même souhaitait) réellement quant à la poursuite de l’alimentation et de l’hydratation dans la situation où il se trouve à présent. Certes, il était infirmier avant l’accident qui l’a réduit à son état actuel, mais il n’a jamais formulé aucune « directive anticipée » ni nommé une « personne de confiance » aux fins des diverses dispositions du code de la santé publique.
Or, pour des questions d’une telle gravité, il ne faut rien moins qu’une certitude absolue. Une « interprétation » a posteriori de ce que les personnes concernées peuvent avoir dit ou ne pas avoir dit des années auparavant (alors qu’elles étaient en parfaite santé) dans le cadre de conversations informelles expose clairement le système à de graves abus. Même si, aux fins du débat, on part du principe que Vincent Lambert avait bien exprimé son refus d’être maintenu dans un état de grande dépendance, pareille déclaration ne peut, à notre avis, offrir un degré suffisant de certitude concernant son souhait d’être privé de nourriture et d’eau.
Comme les requérants le relèvent aux paragraphes 153- 154 de leurs observations – ce qui, encore une fois, n’a pas été nié ou contredit par le Gouvernement : « Si réellement M. Vincent Lambert avait eu la volonté ferme de ne plus vivre, si réellement il avait « lâché » psychologiquement, si réellement il avait eu le désir profond de mourir, M. Vincent Lambert serait déjà, à l’heure actuelle, mort. Il n’aurait en effet pas tenu 31 jours sans alimentation (entre le premier arrêt de son alimentation, le 10 avril 2013, et la première ordonnance rendue par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne, le 11 mai 2013 ordonnant la remise en place de son alimentation) s’il n’avait pas trouvé en lui une force intérieure l’appelant à se battre pour rester en vie. Nul ne sait quelle est cette force de vie. Peut-être est-ce, inconsciemment, sa paternité et le désir de connaître sa fille ? Peut-être est-ce autre chose. Mais il est incontestable que, par ses actes, Monsieur Vincent Lambert a manifesté une force de vie qu’il ne serait pas acceptable d’occulter. À l’inverse, tous les soignants de patients en état de conscience altérée le disent : une personne dans son état qui se laisse aller meurt en dix jours. Ici, sans manger, et avec une hydratation réduite à 500 ml par jour, il a survécu 31 jours. »
En aucun cas on ne peut dire que Vincent Lambert se trouve dans une situation « de fin de vie ». De manière regrettable, il se retrouvera bientôt dans cette situation lorsqu’on cessera ou qu’on s’abstiendra de le nourrir et de l’hydrater. Des personnes se trouvant dans une situation encore pire que celle de Vincent Lambert ne sont pas en stade terminal.
Les questions relatives à l’alimentation et à l’hydratation sont souvent qualifiées par le terme « artificiel », ce qui entraîne une confusion inutile, comme cela a été le cas en l’espèce. Toute forme d’alimentation – qu’il s’agisse de placer un biberon dans la bouche d’un bébé ou d’utiliser des couverts dans un réfectoire pour amener de la nourriture à sa bouche – est dans une certaine mesure artificielle, puisque l’ingestion de la nourriture passe par un intermédiaire. Mais dans le cas d’un patient se trouvant dans l’état de Vincent Lambert, la véritable question à se poser (dans le contexte des notions de proportionnalité et de caractère raisonnable qui découlent de la notion d’obligation positive de l’État au regard de l’article 2) est celle-ci : l’hydratation et l’alimentation produisent-elles un bénéfice pour le patient sans lui causer une douleur ou une souffrance indue ou une dépense excessive de ressources ? Dans l’affirmative, il y a une obligation positive de préserver la vie.
À notre sens, toute personne se trouvant dans l’état de Vincent Lambert a une dignité humaine fondamentale et doit donc, conformément aux principes découlant de l’article 2, recevoir des soins ou un traitement ordinaire et proportionné, ce qui inclut l’apport d’eau et de nourriture.
Cette affaire est une affaire d’euthanasie qui ne veut pas dire son nom.
Il s’agit de « précipiter un décès qui ne serait pas survenu autrement dans un avenir prévisible. »
Le fait d’alimenter une personne, même par voie entérale, est un acte de soins et si l’on cesse ou l’on s’abstient de lui fournir de l’eau et de la nourriture, la mort s’ensuit inévitablement (alors qu’elle ne s’ensuivrait pas autrement dans un futur prévisible). On peut ne pas avoir la volonté de donner la mort à la personne en question mais, en ayant la volonté d’accomplir l’action ou l’omission dont on sait que selon toutes probabilités elle conduira à cette mort, on a bien l’intention de tuer cette personne.
En 2010, pour célébrer son cinquantième anniversaire, la Cour a accepté le titre de Conscience de l’Europe en publiant un ouvrage ainsi intitulé. Nous regrettons que la Cour, avec cet arrêt, ait perdu le droit de porter le titre ci-dessus. »

Lire ci-dessous, après les sources,  3 réflexions finales de Xavier Bazin

Sources et références scientifiques :

[1] Cité dans ce livre du Dr Sam Parnia.

[2] Citation retranscrite dans le livre du Dr Jean-Jacques Charbonier, Les 7 bonnes raisons de croire à l’au-delà, Guy Tredaniel Editeur, 2012.

[3] https://www.ladepeche.fr/etats-unis-declare-cliniquement-mort-enfant-reveille

[4] https://www.courrierinternational.com/sortir-du-coma-apres-vingt-ans-d-inconscience

[5] https://www.courrierinternational.com/sortir-du-coma-apres-vingt-ans-d-inconscience

[6] https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0960982217309648

[7] https://www.lemonde.fr/patient-dans-un-etat-vegetatif-recupere-une-conscience-minimale

[8] https://www.lexpress.fr/vincent-lambert-a-quoi-servent-les-unites-specialisees

[9] https://www.verein-eras.ch/uploads/files/pdf/AFFAIRE-LAMBERT-ET-AUTRES-FRANCE.pdf

[10] https://www.la-croix.com/Laffaire-Lambert-inquiete-familles-cerebroleses

[11] https://www.famillessanteprevention.org/lettres/docteur-sabine-paliard-franco/

[12] https://www.verein-eras.ch/uploads/files/pdf/AFFAIRE-LAMBERT-ET-AUTRES-FRANCE.pdf


3 juillet 2019

Vincent Lambert: 3 réflexions finales 

de  Xavier Bazin

Une étude sidérante vient d’être publiée dans The New England Journal of Medicine[1].
Elle est parue la veille de la décision de la Cour de Cassation autorisant la mort de Vincent Lambert – et elle fait froid dans le dos.
Car elle révèle que 15 % des patients ayant eu un accident grave et diagnostiqués comme « non conscients » ou « en état végétatif »… seraient en réalité conscients !

« C’est gigantesque, a déclaré le Dr Nicholas Schiff, grand professeur de neurologie et neurosciences à New York. La découverte qu’un patient sur sept pourrait être très conscient de ce qui est dit autour d’eux est un grand moment »[2].

Ces patients ont été considérés comme « non-conscients » parce qu’ils ne répondent pas à ce qu’on leur demande de faire : on a beau leur dire de serrer les doigts ou de cligner des yeux, par exemple, il ne se passe rien.
Mais l’imagerie cérébrale montre que c’est parce qu’ils en sont physiquement incapables, et non pas parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’on leur dit !
Cette étude est d’autant plus intéressante qu’elle a été réalisée sur des patients dont l’accident au cerveau était récent : elle montre que ceux à qui on diagnostique très tôt cette « conscience minimale » ont nettement plus de chances de s’en sortir que les autres !
Voilà pourquoi il faudrait d’urgence généraliser cet examen par électroencéphalogramme à tous les patients récemment « cérébro-lésés » !

« Notre étude pourrait changer la façon dont nous gérons les patients souffrant de lésions cérébrales aiguës », a déclaré l’auteur principal, Jan Claassen[3].

Selon ce médecin, il est important de répéter ces tests plusieurs fois par jour, car les patients dans cet état ont tendance à perdre connaissance – si vous ne faites le test qu’une seule fois, vous pouvez tomber sur un moment où le patient n’est pas conscient !
Au total, si on généralise ces tests approfondis, cela pourrait changer la vie de certains patients !
Prenez le cas de ce patient, classé « en état végétatif », dont l’histoire a été racontée par les journalistes du NewScientist.
Il faisait des mouvements de tête, mais l’équipe médicale pensait que c’était des mouvements « réflexes », sans conscience.
Mais ce patient a bénéficié de ces nouveaux tests, qui ont révélé qu’il avait une « conscience minimale » – et c’est alors que l’équipe médicale a commencé à le traiter différemment !
Ils ont même réussi à lui installer une « souris d’ordinateur sur la tête », grâce à laquelle il a fini par écrire un email au Dr Schiff[4] !
Et croyez-le ou non, son premier réflexe n’a pas été de demander à mourir… bien au contraire !

Voudriez-vous mourir si vous étiez prisonnier de votre propre corps ?

Nous avons tendance à imaginer que notre vie serait « un enfer » si nous devenions tétraplégique.
Nous avons tendance à croire que nous préférerions mourir plutôt que de « vivre emprisonné dans notre propre corps ».
C’est pourquoi certaines personnes sont convaincues que les parents de Vincent Lambert sont cruels : s’ils avaient de la compassion pour leur enfant, ils seraient désireux d’abréger son calvaire !
En réalité, dans le cas précis de Vincent Lambert, ce raisonnement est très contestable :

  • Soit Vincent Lambert n’est conscient de rien, comme le pensent la majorité des experts, et il ne peut pas souffrir – dans ce cas, pourquoi ne pas lui laisser une chance, même minime, de regagner conscience un jour (c’est rare, mais cela arrive), puisqu’il ne souffre pas ?
  • Soit Vincent Lambert a une conscience minimale, et on pourrait tout aussi bien considérer qu’il est cruel de le laisser mourir de cette manière (je rappelle que Vincent Lambert n’est « branché » à aucune machine et que la seule manière de le faire mourir est de cesser de l’alimenter), surtout s’il est conscient de ce qu’on s’apprête à lui faire.

Mais surtout, il faut savoir que nous sommes très mauvais pour imaginer ce que nous pourrions ressentir si nous étions gravement accidentés.
Une étude très intéressante a été réalisée auprès de patients « emprisonnés dans leur corps »[5].
Ces personnes sont totalement paralysées… mais elles sont parfaitement conscientes et peuvent communiquer en bougeant les yeux.
Pensez à l’auteur du best-seller Le scaphandre et le papillon, qui a réussi l’exploit d’écrire un livre simplement en clignant de l’œil gauche !
Eh bien croyez-le ou non, la majorité de ces patients ne sont pas malheureux !
Oui, dans l’étude en question, 72 % d’entre eux se sont même déclarés « heureux ».
« Cela peut paraître surprenant pour nous, de l’extérieur, mais certains patients font preuve d’une énorme capacité d’adaptation à leur nouvelle situation, explique Steven Laureys, responsable de l’étude. Beaucoup évaluent leur qualité de vie à un meilleur niveau que je n’aurais jugé la mienne ! ».
Notez aussi que ceux qui étaient les plus malheureux étaient aussi ceux dont l’accident était le plus récent.
Et en effet, il est très fréquent pour les accidentés lourdement handicapés de commencer par ressentir une dépression sévère… puis, progressivement, de s’adapter à leur nouvel état.
(Ce qui pourrait être une bonne raison de leur refuser l’euthanasie, tant que leur état n’est pas stabilisé, même s’ils le demandent avec insistance.)
Écoutez ce que dit le Professeur Adrian Owen, un des neuroscientifiques les plus connus au monde : 

« Nous ne pouvons pas préjuger de ce que cela peut être que de vivre dans une de ces situations, car beaucoup de patients trouvent leur bonheur dans des choses que nous ne pouvons tout simplement pas imaginer. »[6] 

C’est la raison pour laquelle je vous invite à bien réfléchir avant d’écrire vos directives anticipées.
Gardez bien à l’esprit que vous ne pouvez pas vraiment savoir comment vous réagirez si vous êtes victime d’un accident grave.
N’oubliez pas non plus que la science du cerveau est tout sauf infaillible : les médecins peuvent se tromper sur votre niveau de conscience… ou sur vos chances réelles de vous « réveiller ».
Au total, il y a tellement de situations envisageables qu’il est à mon avis impossible de toutes les imaginer dans des « directives anticipées ».
Le plus important, de mon point de vue, c’est de signaler les personnes à qui vous faites confiance pour décider de votre sort.

Ni français, ni belge, à qui faire confiance ?

Aujourd’hui en France, en l’absence de directive anticipée, c’est le médecin qui décide de votre sort.
Personnellement, je trouve cela très étonnant : pourquoi laisserait-on un médecin décider de la vie ou de la mort d’un patient ?
N’est-ce pas à sa famille de prendre une telle décision ?
A tout prendre, si c’est un étranger qui doit décider de mon sort, je préférerais encore que ce soit un juge, car au moins a-t-il l’obligation (et l’habitude) d’entendre les arguments des deux côtés, et de les écouter avec le maximum d’impartialité !
Laisser le médecin décider peut conduire à des aberrations, comme ce qui s’est passé en 2013 avec Vincent Lambert : quoi qu’on pense sur le fond de la décision de son médecin de l’époque, il semble aberrant de prendre une décision aussi grave (le laisser mourir) dans le dos des parents de Vincent, sans les en informer (ils l’ont appris par hasard !)
Mais dans l’idéal, il me semble que ce sont les membres de notre famille qui sont les mieux placés pour décider de notre sort.
C’est ce que choisit le droit belge, qui ne donne aucun droit de décision au médecin, et tous les droits à la famille.
Mais le problème, c’est que le droit belge établit une hiérarchie : d’abord l’épouse, puis les enfants, puis les parents.
Donc si l’épouse n’est pas d’accord avec les enfants ou les parents de son mari, c’est sa décision à elle qui prévaut.
Pourquoi ? L’idée est que le patient a choisi son époux ou épouse, alors qu’il n’a pas choisi ses parents – et donc que c’est le conjoint qui aurait le plus le « droit » de décider de son sort.
Mais ce raisonnement me paraît bancal, car quantités de mariages se terminent par des divorces à la suite desquels les ex-époux deviennent des étrangers l’un pour l’autre – alors que nous serons toujours les enfants de nos parents !
Par défaut, il me semble que l’unanimité devrait être requise pour les décisions graves. Il me paraît dérangeant de décider de la mort de quelqu’un si l’un des membres de la famille s’y oppose.
(Pensez aux 12 jurés, aux États-Unis, qui sont obligés par la loi de se mettre d’accord unanimement pour condamner quelqu’un à de la prison).
Évidemment, il y a des exceptions : si par malheur vous avez été abusé par l’un de vos parents, il est normal de refuser que ce parent puisse avoir son mot à dire !
Et c’est ici que les fameuses directives anticipées me paraissent utiles.
Non pas pour décider à l’avance de ce que vous voudriez… mais pour bien choisir le ou les personnes de confiance qui prendront la décision !
Personnellement, si je devais me retrouver dans la même situation que Vincent Lambert, je voudrais qu’il y ait un consensus entre mon épouse et mes parents sur mon sort (je ne suis pas sûr de vouloir mêler mes enfants à une décision aussi difficile).
Cela me paraît la meilleure garantie que la décision sera bonne – ou du moins la moins mauvaise possible !
Xavier Bazin

PS : Le Figaro a relaté récemment l’histoie d’une patiente, Amélie de Linage, dont le cas est particulièrement troublant[7] :
 En août 2014, Amélie de Linage fait « une fausse route alimentaire ayant provoqué un arrêt cardio-respiratoire, Amélie est plongée dans un coma artificiel. On tente un réveil quelques jours plus tard, mais l’électroencéphalogramme, qui s’affole, témoigne d’un état de mal épileptique réfractaire à tout traitement ». A sa famille ébranlée, le médecin chef du service réanimation déclare que « son projet de vie, c’est de mourir ». Son mari s’insurge :  « Vous n’avez pas à choisir pour elle ! (…) Moi non plus d’ailleurs. Laissez-lui juste une toute petite chance de vivre, quel que soit son état ». Un jour, il constate que l’alimentation est coupée et l’hydratation réduite au minimum, il s’emporte, rien n’y fait. Le 5 septembre, on retire à son épouse le respirateur artificiel, « contre toute attente, Amélie récupère cette fonction parfaitement », mais les médecins refusent de remettre en route l’alimentation et l’hydratation. Après quinze jours sans alimentation, Amélie a fondu mais elle  « est toujours là » : « Je sentais sa présence », raconte son mari. Mi-octobre, des « reprises de conscience » sont perçues, ainsi que quelques balbutiements. Amélie finit par articuler : « J’ai faim, j’ai soif ! ». Très handicapée, elle rentre chez elle en décembre 2015 : « Comme Vincent Lambert, j’ai été classée à tort en fin de vie et condamnée à la dénutrition. Aujourd’hui, je suis là pour dénoncer cette injustice, et dire que j’aime la vie ».

Sources

[1] https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1812757

[2] https://www.nytimes.com/health/brain-injury-eeg-consciousness

[3] https://technologiemedia.net/leeg-detecte-la-conscience-cachee-chez-des-patients/

[4] https://www.newscientist.com/shocking-evidence-people-in-vegetative-states-may-be-conscious/

[5] https://bmjopen.bmj.com/content/1/1/e000039

[6] https://www.newscientist.com/most-locked-in-people-are-happy-survey-finds/

[7] http://www.lefigaro.fr/amelie-camille-jean-pierre-ces-autres-vincent-lambert