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Rester vivante jusqu’à la fin

Quand la faiblesse devient légèreté

Ce cancer qui s’est installé pour ne plus partir me fait traverser des contrées inconnues.

La dernière en date a été celle de la faiblesse, que le jargon quotidien ou médical nomme fatigue.

Faiblesse physique, chaque mouvement me paraissant être au-dessus de mes forces, faiblesse psychique, envie de rien, mais vraiment de rien, faiblesse spirituelle : je n’étais qu’une petite chose affalée dans un fauteuil, sans autre but sur terre que de passer la journée, en attendant la fin comme une délivrance. Ce jeudi-là néanmoins, je me préparais à aller à la permanence de mon association d’aide aux personnes atteintes du cancer, ayant déjà expérimenté à plusieurs reprises que ma responsabilité dans l’association, mon émerveillement devant ces personnes si vraies dans leurs souffrances, tout ça m’avait déjà revigorée, amenée à un état de bonne santé.

Voilà, aujourd’hui, je voulais passer au-dessus de ces faiblesses comme un petit soldat, courageusement, combattante, je comptais sur le fait que ça avait déjà marché et que ça marcherait forcément encore. Mon engagement allait être payant, en quelque sorte.

Oui mais, ce jour-là, du fond de ma « fatigue » inscrite à tous les niveaux de mon être, impossible de passer le cap. Impossible d’être présente, impossible de m’émerveiller, je ne suis que fatigue. J’essaie de prendre le bon qui se vit, là, dans cette joyeuse assemblée. Mais non, le bruit m’abrutit. J’essaie de me retirer un peu en aparté avec une personne nouvelle. Mais non, je ne suis pas présente, je me sens lourde et alourdie.

Un rapide bilan se fait en moi. Comment suis-je venue ici ? Ah oui, en petit soldat. Celui qui veut la victoire, coûte que coûte. Et ô que oui, c’est en train de me coûter un maximum !

Et si j’acceptais cette faiblesse, comme un message de légèreté. Si j’acceptais d’être une feuille morte qui ne tombe pas comme une pierre, mais qui danse dans le vent, au gré d’un vent ami qui la porte encore un peu plus loin. Alors ce n’est plus un abandon de poste. Alors mon départ est léger. Et il l’a été. Sans culpabilité (c’est vraiment nouveau pour moi !).

« Le vouloir est un mur et non une marche ».

Je suis rentrée chez moi. J’ai retrouvé mon fauteuil, je m’y suis endormie, et des amies sont venues me faire la surprise de me préparer un diner aux chandelles. J’avais officialisé ma faiblesse, je l’avais regardée comme une amie, elle était devenue légère.

Heu, devinez quoi ? Depuis je remonte la pente à toute vitesse ! Ah oui, autre chose, quelle surprise d’entendre mon mari me remercier dernièrement d’être aussi légère dans ma maladie !!!

Décembre 2010 Hélène Couzin

PS. Hélène nous a quittés le 18 janvier 2011 tout doucement.