Aller au contenu

Ma mère devient tyrannique

Question du 14 mai

Mes deux parents de 94 ans sont encore présents et vivent, ensemble, dans leur maison. Tout le monde me dit « quelle chance qu’ils soient encore ensemble et qu’ils puissent partager et se soutenir » ! Je dis oui car je n’ose dire qu’ils se disputent toute la journée et que cela devient invivable.
Je pense (mais finalement j’arrive quelquefois à en douter) qu’ils se sont bien entendus toute leur vie et qu’ils étaient fiers de ce qu’ils ont réalisé (travail, famille, etc) ; je trouve donc dommage qu’ils terminent ainsi, à se pourrir la vie.
Ma mère est branchée sur 500 volts, mon père plutôt lent; ma mère commence à « tourner un peu en rond », à répéter les choses, à ne plus bien raisonner, bien qu’elle s’occupe encore de tout le « train-train de la maison », mon père lui est encore très lucide et vif d’esprit !
Ma mère devient tyrannique, donne des ordres à mon père et a tendance à le rabaisser sans cesse ; mon père se met dans sa bulle et, très souvent, ne répond plus aux questions qu’elle lui pose ce qui ne fait qu’augmenter les tensions !
Bref, moi, je suis au milieu de tout cela, le vis très mal et ne sais franchement pas comment agir et quelle attitude adopter ! Je voudrais pouvoir les aider, aider ma mère en particulier car, certes à 94 ans, elle peut être fatiguée en faisant tout ce qu’elle fait. Mais, elle refuse toute aide.
Ce qui m’ennuie aussi est la chose suivante : toute sa vie, ma mère a toujours fait passer les autres avant elle ; à force de volonté, elle a créé un milieu familial et a permis à mon père de réaliser une vie professionnelle plus qu’honorable ! Or, avec son comportement actuel, tout son entourage (mon père, ma sœur, mes neveux..) gardera d’elle une image autoritaire, acariâtre et revêche! Comment faire pour faire comprendre à ma mère de lâcher-prise et de ne pas se pourrir les quelques années qui lui reste à vivre !
Si vous avez une solution, je suis preneuse !

Réponse de Lydia :

Je vous remercie pour votre question qui me semble très importante car beaucoup d’enfants assistent à ce genre de situation avec leurs parents vieillissants.
En fait, vous assistez à un phénomène souvent observable, notamment lors des démences séniles, genre maladies d’Alzheimer: un changement de caractère volte-face. Les tout gentils deviennent accusateurs voire méchants, et d’autres parents auparavant autoritaires, critiquant tout, voire méchants deviennent gentils et reconnaissants. J’appelle cela l’apparition de l’ombre en fin de vie, lorsque le contrôle social lâche et émerge ce que la personne a toujours réprimé, gardé secret parce que interdit ou inadmissible pour elle. 
Ceux qui ne faisaient que juger et critiquer ont  réprimé ou ont fait une croix sur leurs besoins de proximité et de tendresse, probablement à cause de vécus douloureux dans leur enfance. Les gentils et soumis sortent leurs griffes et leur colère car ils ont tôt appris que pour être aimé il fallait s’occuper des autres et se renier soi-même. Ils n’ont pas eu le droit de vivre une adolescence où ils se pouvaient révolter contre l’autorité et restaient des enfants soumis.
Ainsi, aussi votre mère a certainement ravalé beaucoup de choses, n’a rien dit, s’est sacrifiée, car elle croyait que c’était son rôle et sa valorisation. En faisant cela elle n’a jamais vraiment existé pour elle-même, mais seulement à travers ce qu’elle faisait et sacrifiait pour les autres, notamment son mari. Maintenant, au temps du bilan de vie (inconscient car il semble aussi qu’elle est en train de perdre ses facultés mentales et se trouve au premier stade de ce qu’on peut appeler une démence sénile d’après Naomi Feil. Voir les livres que je vous conseille à la fin), la facture est salée, car elle réalise confusément qu’elle n’a pas vécu sa vie et donc règle son compte à son mari pour qui elle a fait probablement le plus de sacrifices et accepté le plus de frustrations.

J’ai un seul conseil à vous donner :  validez sa colère (surtout pas devant votre père!), c’est-à-dire donnez une valeur à son émotion de colère qui s’exprime à travers ses comportements. Par ex. dans une pièce loin de son mari ou en vous promenant avec elle là où personne vous entend et dites quelque chose du genre: « Je vois que tu es fâchée, maman, car tu t’es sacrifiée toute ta vie et aujourd’hui t’en a marre. Tout le monde et surtout ton mari te fait ch…. Je taperai même devant elle sur un coussin avec la main pour montrer l’expression de la colère. Si vous êtes au courant de choses qu’elle avait accepté pour son mari contre son gré,  vous pouvez le formuler et voir comment elle réagit. Il est important qu’elle puisse donner de l’air aux frustrations accumulées. Observez ce que cela déclenche chez elle, si elle nie ou admet ses frustrations, sa colère, son mépris… Après, il s’agit certainement aussi de valider qu’elle ait été une bonne épouse, qu’elle ait  fait beaucoup de choses pour les autres (énumérez les).

Si elle se sent reconnue dans son ressenti véritable, cela l’apaisera…  pour un temps ! Le colère va remonter encore et encore ! Pensez donc, 90 ans de refoulements ! Mais de validation en validation cela s’apaisera peu à peu.
Je vous suggère une ou 2 lectures : La Validation mode d’emploi de Naomi Feil et La méthode de Naomi Feil à l’usage des familles de Vicky de Klerk-Rubin.