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Larguée sur l’autoroute de la vie

La vieille maman qui se sentait larguée

mamanlargueeCela se passait dans une clinique de convalescence. J’ai été alertée par une aidesoignante : une patiente refusait de venir à table pour le repas de midi et injuriait les hôtelières qui insistaient.

Je suis allée m’asseoir près de cette dame qui était alors complètement hors d’elle. Je l’ai aidée à mettre des mots sur ce qui se passait en elle. J’ai écouté toute son histoire et je me suis sentie très touchée par cette femme : elle avait quatre-vingt-sept ans, sa fille la faisait transférer dans une maison de retraite l’après-midi même et ne l’avait prévenue que par un appel téléphonique le matin. De sa famille, personne ne venait l’accompagner. Je l’ai aidée à mettre des mots sur sa souffrance, je l’ai invitée à se lâcher dans ses accusations : elle se sentait larguée comme un paquet que l’on prend et que l’on jette n’importe où, parce qu’il ne sert plus. L’expression « larguée » suscitait une forte résonance en moi, me rappelant bien des choses. Se pouvait-il qu’à partir de la correspondance du vécu, à partir de la façon dont j’avais pu transformer une souffrance similaire, je puisse aider cette dame ?

Je lui ai alors dit que moi-même je connaissais ce terrible sentiment d’être larguée, de ne plus rien être. « Ah bon ? Vous ? » Elle était étonnée, car nous, les soignants et accompagnants, nous n’avons pas de problèmes, voyons… ! Mais elle voulait bien en savoir plus. Je lui ai alors raconté mon histoire.

J’avais laissé ma voiture dans un parking de péage d’autoroute pour faire du covoiturage. Au retour, on me déposait à « ma » station de péage en me certifiant que c’était bien la bonne. Je ne prenais pas garde de vérifier, et ce n’est qu’une fois la conductrice partie que je me rendais compte de l’erreur. J’ignorais que cette ville avait deux gares de péage, et donc ma voiture était garée à la station suivante, 15 kilomètres plus loin. Me voilà seule, à un péage d’autoroute un dimanche soir à 22 h, sans voiture et encombrée de bagages !!

Je me faisais d’abord rembarrer vertement par un caissier de péage, puis j’ai essayé de faire du stop auprès des personnes s’arrêtant au péage, mais je n’ai essuyé que des refus.

Alors j’ai été prise de panique. C’était cette même souffrance : me sentir larguée comme un paquet et de ne pouvoir faire confiance à personne.

Enfin est arrivée une dame blonde dans une voiture vert pomme. Elle a d’abord hésité, puis m’a invitée à monter dans sa voiture. Elle était de passage, ne connaissait pas la ville, mais elle m’a rassurée qu’ensemble nous retrouverions ma voiture.

Lors d’un arrêt pour prendre du carburant, elle m’a même offert un pain au chocolat. J’ai été bouleversée par cette attention, par la disponibilité tranquille de cette femme. Le moment que j’ai passé en sa compagnie a été d’une étonnante intensité. Nous avons effectivement retrouvé ma voiture à la station de péage suivante. J’ai demandé à cette femme comment je pouvais la remercier. Elle me répondait : « En faisant comme moi le jour où vous trouverez quelqu’un en difficulté sur le bord de la route. »

Je lui ai promis que je respecterais sa demande. Après avoir récupéré ma voiture j’ai eu le cœur en fête sur toute la route du retour. J’ai remercié la vie qui m’avait mis cette femme sur ma route et qui m’avait fait vive cette aventure.

J’ai ainsi tout raconté à la vieille dame, et à la fin je lui ai fait remarquer que lorsque la vie nous amène à vivre des épreuves, nous avons toujours le choix soit de subir dans la plainte et la révolte, soit de profiter pour gagner ailleurs. Elle s’est calmée et je ne croyais pas mes oreilles lorsqu’elle m’a dit : « Vous avez trouvé un ange blond et moi je viens de trouver un ange brun : je me suis sentie écoutée, pour la première fois. »

Je lui ai alors demandé de quoi elle avait envie. Elle me répondait : « D’un bon café au lait bien chaud ! » que je lui ai préparé.

L’après-midi elle a trouvé des excuses à sa fille et est partie curieuse de ce qui l’attendait ailleurs.

Thérèse