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Elle ne compte que sur le soutien de ses enfants

Je viens de terminer votre livre. Je n’ai pas pu m’empêcher de le lire jour après jour comme un roman que l’on ne peut pas quitter. Votre approche de la fin de vie et du passage à la mort est très simple et quand on lit vos lignes, on se dit: « mais c’est vrai elle a raison, c’est un processus tout à fait naturel, pourquoi a-t-on aussi peur de la mort? ». Je travaille depuis bientôt 2 ans pour la Ligue contre le cancer en tant que bénévole et j’ai suivi un cours de formation l’an dernier, axé sur les soins palliatifs, la fin de vie, la mort mais aussi sur le développement personnel. Je l’ai trouvé très instructif et enrichissant. Jusqu’à maintenant je n’ai pas suivi de malade du cancer mais j’ai fait un soutien scolaire en anglais pour une collégienne de 16 ans dont la maman est cancéreuse. Donc je n’ai pas eu pour l’instant de « pratique » de fin de vie avec un(e) malade contrairement à certaines de mes collègues. Cependant j’ai une mère très âgée qui vit en France que je visite 2-3 fois par an. Je sais qu’un jour ce sera son tour d’être en mourance mais je me demande comment elle réagira. Elle a toujours été spectatrice de sa vie, toujours en retrait de la réalité. Elle a pris toute sa vie et prend toujours des anti-dépresseurs, somnifères et autres pilules pour calmer ses angoisses, son mal-être. Elle est mal-voyante depuis 2006, elle a une dégénérescence de la rétine et depuis, ne bouge plus. Elle a une excellente santé, bien plus robuste que certains de ses enfants mais se complait dans sa fragilité. Deux de mes frères s’occupent d’elle à tour de rôle depuis 4 ans, 24h sur 24h et commencent à se fatiguer et être frustrés car ils doivent couper leur vie en 2. Ma mère a 90 ans et nous sommes une fratrie de 7 enfants, je suis l’aînée. Pendant mon enfance, dès l’âge de 7 ans et jusqu’à mon départ à l’âge de presque 22 ans, j’ai aidé ma mère à élever mes frères et sœurs. Je suis partie de chez mes parents pour me reconstruire et vivre enfin ma vie! Cependant j’ai toujours gardé des contacts avec elle et bien que vivant en Suisse depuis 1968, je la visite de temps en temps. Ce qui me désole est qu’elle n’as pas une bonne qualité de vie. Elle n’a jamais voulu se faire des amis(es) et à la mort de son mari, plus âgé qu’elle, elle est devenue dépressive chronique. Elle ne compte que sur le soutien de ses enfants, ce qui cause des frictions dans la fratrie pour s’occuper d’elle. A mon avis elle est tout à fait capable de se débrouiller seule avec une aide à domicile. Elle a déjà une aide ménagère 2 fois par semaine. J’ai essayé de lui parler, de lui proposer des activités, elle refuse, elle sort marcher 5 minutes et jamais seule et pas tous les jours. Elle passe sa vie assise sur son canapé et ce, depuis des décennies!! Je vais la voir fin août une semaine, je vais encore essayer de la stimuler, elle a beaucoup de ressources mais ne veut pas les utiliser. Alors le jour où elle se trouvera en toute fin de vie, comment va-t-elle passer cette dernière étape? Il est arrivé que j’aborde ce sujet avec elle mais elle refuse d’en parler, disant que ça arrivera bien assez tôt. Elle a fait un testament olographe il y a quelques années. Donc côté matériel, elle est en ordre mais parler de la mort ne veut pas dire qu’elle va arriver tout d’un coup (ce que je lui ai déjà expliqué). Merci Lydia de m’avoir lue et d’avoir permis à des non-professionnels comme moi d’apprécier votre livre, je vais le recommander autour de moi. Je vous souhaite un bel été et une bonne continuation dans votre aventure de Vie!

Réponse de Lydia

Je vous remercie pour votre mail exhaustif où vous donnez tout à fait une idée du fonctionnement de votre mère. Vous demandez : Comment va-t-elle passé la dernière étape de sa vie ? On dit bien qu’on meurt comme on a vécu. Il semble que votre maman ait utilisé depuis toujours, ou en tout cas depuis très longtemps, la voie de la fuite et de l’évitement. Ce ne sera probablement pas différent en fin de vie. Je dis « probablement » car nous ne savons jamais ce qui peut se passer à proximité de la mort. Je connais le grand pouvoir de réveil et de transformation de la mort, mais évidemment, nous ne savons pas si votre mère aura l’énergie psychique suffisante pour faire face ouvertement. Mais comme vous le soulignez, elle a des ressources qu’elle ignore, mais qui pourront peut-être émerger un jour. Il me semble percevoir à travers vos lignes (et je peux vous comprendre !) que votre mère vous énerve, que vous aimeriez la secouer pour qu’elle réagisse et sorte enfin de sa passivité. Cependant, le problème majeur me paraît être votre espoir que votre mère change. Bien sûr, ce changement serait pour son bien, mais tout de même, votre espoir signifie au fond un rejet de votre mère telle qu’elle est. Or, il faut savoir qu’aucun changement ne survient jamais, ni en nous-mêmes, ni chez l’autre, sur la base d’un jugement ou d’un rejet. Tout au contraire, cela provoque plutôt de la résistance, voire du refus. Donc, le seul changement dont vous avez le pouvoir vous appartient en cessant d’espérer que votre mère bouge. Mais cela amène un deuil pour vous, un deuil qui contient peut-être la souffrance de toute votre vie, de ne pas avoir eu une autre mère, une vraie mère au lieu d’une mère-enfant passive. Elle ne changera peut-être jamais, mais pour vous tout changera le jour où vous arriverez à l’accepter et à l’aimer telle qu’elle est. J’ai fait ce chemin avec ma propre mère, mais seulement lorsqu’elle avait perdu la tête et que j’ai compris qu’elle ne changera plus – j’ai fait le deuil de la mère espérée. Et dès ce jour-là, j’ai pu voir celle qu’elle était et notamment aussi l’ex-enfant en elle qui me touchait beaucoup. Je n’avais plus besoin de la sauver. C’était facile de l’accepter et de l’aimer vraiment, pour la première fois. En attendant, vous pouvez lors de votre prochaine visite – à la place de la stimuler – passer du temps à la faire parler de son enfance, de ses relations et de sa famille et ancêtres. Intéressez-vous à son monde et à son passé, car sa passivité a une raison d’être. Je vous envois mes encouragements à découvrir votre maman sous un autre jour!