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Qu’il est difficile de lâcher prise!

Alors cette mort, quand viendra-t-elle enfin?

clairetteAriane était une femme qui a dirigé sa vie d’une poigne de fer. Elle avait sa méthode et c’était la seule valable. Puis le cancer est arrivé. La lutte a été rude ; elle a choisi de suivre en Allemagne un traitement pas reconnu en Suisse, mais tant pis. Puis l’espoir de guérir s’en est allé et courageusement elle a fait face. Elle m’avait fait part de son souci d’être obligée de tout porter, car autrement c’était la gabegie. Ce n’était pas fait comme ELLE le voulait, donc nul et à refaire. Je lui avais conseillé de lâcher prise et de faire confiance à son entourage. Qu’elle était dans un moment de sa vie où il fallait qu’elle garde son énergie et profite de ce qu’elle pouvait encore faire. De se faire plaisir et de laisser les soucis aux autres … Mais lâcher prise, ça, elle ne le pouvait pas, car ils n’y arriveraient pas sans elle… Et je n’avais pas à diriger sa vie!Ariane est au CESCO en fin de vie, mais continue à diriger son monde comme elle l’a toujours fait. Elle est au plus mal et décide pourtant de faire un apéro pour faire ses adieux à ceux qui viennent la voir, pour la famille et pour le personnel. Il faut amener de la Clairette de Die et des amuse-gueule.
L’apéro est prêt, chacun à un verre et nous lui demandons si elle à soif ? Elle fait signe que non.

Son fils lui demande : – Tu veux de la clairette? 

Elle ouvre les yeux et dit : – Ho ! Oui, de la Clairette !

Elle en boit un verre et s’exclame : – Ah ça, ça requinque !

Puis un deuxième verre, et elle se met à se plaindre qu’elle a mal aux jambes. Elle veut qu’on appelle toute de suite le docteur, ce n’est pas normal… Je lui dis que deux verres de Clairette dans son état, ça peut faire mal aux jambes.

– Ah oui, ça doit être ça, me dit-elle. Ariane nous fait ses adieux, nous donne ses derniers ordres, à qui il faut donner ci et ça. Puis tout d’un coup elle dit : – Ça y est, je suis prête, elle peut venir !… J’attends, mais que fait-elle ? Pourquoi elle n’est pas là ? Je suis prête, je ne comprends pas pourquoi elle ne vient pas ?…

Tout le monde se regarde… Je comprends qu’elle parle de la mort. Elle doit venir car elle est prête. Je lui dis que là, ce n’est pas la mort qui va lui obéir, mais que c’est elle qui va devoir lui obéir. Mais rien à faire, la mort doit venir là, maintenant, tout de suite ! Ce n’est pas normal ! Ariane s’agite et s’énerve. En plaisantant son fils lui dit :

– C’est fou, ces employés ! ce n’est plus ce que c’était !

Alors je me penche à son oreille et lui dis :

– Vous savez Ariane, ce caprice-là, elle ne va pas vous l’accorder. Ce sera peut être ce soir, ou demain, ou la semaine prochaine, on ne sait pas, mais c’est vous qui devrez lui obéir.

– Ah ! Vous croyez ? Pas maintenant ?

Puis elle s’est calmée et nous a demandé de partir car elle était fatiguée. Le lendemain elle nous a fait part de la pire expérience de sa vie :

– Vous vous rendez compte, cette nuit j’ai failli mourir de soif !…

La mort a « tardé » encore une semaine et est venue, lorsqu’Ariane avait enfin lâché prise.

Par Anita Epiney