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La soudaine fringale d’une mourante

Violette

violettePeu importe l’âge, que nous ayons, 25 ans ou bien 84, le diagnostic d’un cancer généralisé et d’une mort proche est un choc.

« Hans Erni qui a 100 ans peint encore », me disait Violette, lorsque je la rencontrais pour la première fois dans sa jolie maison à la campagne, ou elle vivait seule. C’est ellemême qui avait demandé une bénévole pour l’accompagner dans cette dernière et plus difficile période de sa vie. Violette était une femme indépendante qui, après une vie professionnelle, est restée active. Elle aimait lire, aller aux spectacles, aux conférences, partir à la montagne et, en faisant appel à différentes personnes et méthodes, elle cherchait continuellement le sens de sa vie. Elle était généreuse et avait occupé une place importante dans la vie de ses frères et sœurs à présent tous morts, ainsi que dans la vie de sa nièce et de ses neveux qui, à leur tour, étaient très présents pour elle.

Je rencontrais Violette trois mois après son diagnostique. Courageusement elle avait demandé au médecin, combien de temps lui restait à vivre. « Vous pourrez probablement encore fêter Noël cette année, » était la réponse. (C’était en janvier) Violette n’évitait pas les mots qui sont pour beaucoup d’autres personnes trop difficile à prononcer : la mort – la souffrance – la dépendance – la peur. Et elle se posait des questions sans réponse : D’où ça vient ? Pourquoi un cancer ? Qu’ai-je fait, pas fait ? Assez rare qu’une dame de son âge ait une vie intérieure aussi riche.

Violette était une femme intelligente, cultivée, extrêmement indépendante et même contrôleuse. Je me sentais proche d’elle, ça pourrait être moi dans vingt ans! Nos discussions étaient riches, exigeantes, chaque mot comptait, était analysé. Toujours très polie, elle me remerciait après chaque téléphone, chaque visite. « Merci, » me disait-elle lors d’une de mes dernières visites, « pour tout ce que vous m’avez apporté. » Et moi, j’ai tant appris avec elle et le lui disais aussi.

Puis arrivait le moment où elle ne pouvait plus rester chez elle. C’était elle-même qui avait décidé d’aller à l’hôpital. C’était elle-même qui avait préparé sa petite valise. Pour le personnel – très aimable d’ailleurs – Violette n’était pas une patiente facile. Elle discutait de tout : « Pourquoi ce médicament ? Cette piqûre, à quoi elle sert ? Non je ne veux pas que l’on m’aide, non pas la chaise roulante, non pas l’oxygène ! »… Très difficile, presque impossible pour Violette d’accepter de l’aide, d’accepter la dépendance. Elle n’arrivait pas à lâcher prise, ou que très difficilement, quand elle n’avait vraiment plus le choix. A sa nièce elle disait un jour : « je voudrais que l’on fixe maintenant la date de mon enterrement, j’aimerais bien le savoir quelques jours avant. » Elle ne plaisantait pas, mais ne se rendait évidement pas compte non plus de l’impossible de sa question. Elle voyageait déjà entre le présent et le passé et entre différentes réalités. Alors qu’elle ne mangeait déjà presque plus rien et qu’elle ne quittait que rarement son lit d’hôpital, elle m’a demandé un jour de lui apporter un poulet rôti. Un poulet rôti ! Lorsque je suis arrivée avec mon poulet, elle m’attendait, assise derrière une assiette vide, toute prête. « J’aime le poulet rôti, » me disait-elle, « chaque mardi quelqu’un en vend dans mon village ; » et elle le mangeait presque entièrement et avec appétit !

Trois semaines après, en juillet, Violette est décédée, et quand je me rendais à son enterrement, un mardi, le petit camion qui vend les poulets rôtis dans son village y était, et j’ai eu une tendre pensée pour cette femme qui m’a permis de l’accompagner.

Jetty van den Boom