Aller au contenu

Une bénévole peut aussi en avoir assez

La femme que j’accompagne m’énerve…

femmemenerveLorsque notre formatrice et superviseuse, Lydia Müller, m’a proposé l’accompagnement de Viviane, je m’occupais déjà de ma tante de 97 ans et d’une amie atteinte de la maladie d’Alzheimer. J’ai demandé un temps de réflexion. Et je me suis posée. J’ai senti que j’étais touchée par cette femme qui entend parler Lydia à la radio, qui prend son téléphone et lui demande de l’aide. Alors j’ai accepté et je l’accompagne maintenant depuis plus d’une année…

J’ignorais tout de la photophobie, ce dont souffre Viviane. Ça me paraissait insurmontable de ne pas supporter la lumière, de vivre dans la pénombre, de ne pas voir le soleil, de ne sortir que le matin très tôt ou le soir quand le soleil est couché.

Premier contact téléphonique

Une voix douce, chaleureuse me donne tous les renseignements pour arriver chez elle et me prévient de l’attente derrière la porte, de vite la refermer pour éviter que l’air froid ne rentre. Car, non seulement, Viviane souffre de photophobie, mais elle a aussi une santé très délicate, des angines aux moindres refroidissements, et elle endure encore de fortes douleurs dans les épaules et dans un bras à la suite d’un nerf coincé dans la colonne cervicale. Elle dépend de plusieurs personnes pour faire ses courses, sa toilette, son ménage.

Premier rendez-vous

Je suis comme à un rendez-vous amoureux. J’ai le cœur qui bat. J’attends longtemps le petit clic de la porte. J’entre, je ne vois personne (j’étais prévenue). Puis arrive une silhouette emmitouflée dans un grand châle et je découvre un visage encore jeune, un grand sourire qui m’accueille chaleureusement. Viviane me présente à ses compagnons en peluche à qui elle parle. Car Viviane déborde d’imagination. Elle aurait aimé créer des histoires pour les enfants. L’ancienne maîtresse d’école que je suis entre avec plaisir dans ce petit jeu qui deviendra un rituel amusant et léger au fil de nos rencontres. Cette première visite a été pour moi une leçon de vie de courage et de dignité face à la maladie.

J’admire cette femme de 62 ans qui vit depuis plus de 15 ans dans la pénombre, avec tant de difficultés et qui a su garder de l’humour, de la gaité malgré des moments douloureux de désespoir et de profonde dépression. Et je n’avais, jusque-là, jamais mesuré la chance que j’avais de voir la lumière et d’être en bonne santé. A la suite de cette visite, la vision du lac en face de ma fenêtre me mit dans un état de reconnaissance et de remerciement rarement vécu auparavant.  

Au fil de nos rencontres des liens profonds se tissent. Mais arrivent aussi des difficultés de part et d’autre. J’avais accepté de rechercher un moyen de remplacer le carton qui cachait la lumière de la lampe de chevet du séjour pour l’obscurcir. Et j’arrivais avec des propositions, du matériel, dans l’agitation, toute tournée vers la matière, et de ce fait plus assez vers Viviane qui vivait mal que je ne l’écoute pas et ne prenne pas en compte ses souffrances. Elle s’en est plainte à Lydia par téléphone et elle me l’a dit.

Lors d’un week-end de formation et de supervision, je me suis penchée sur mes difficultés par rapport à Viviane et j’ai vu mes agacements concernant tout le rituel qu’il fallait respecter : la longue attente derrière la porte, la refermer tout de suite, tire le rideau par la droite… ses complaintes). J’ai pu libérer toutes les accusations contre Viviane qui m’ont remis en contact avec la petite fille que j’avais été qui n’avait pas eu le droit de se plaindre, qui a dû rentrer ses émotions et faire, faire, faire pour qu’on la voie. J’ai été touchée de voir pourquoi j’avais de la peine à entendre Viviane et ses souffrances. J’ai alors pu lui donner facilement le droit à son monde et comprendre profondément combien tout ce rituel était important pour elle. Tout le cheminement de ce travail intérieur m’a amené à un acte pour retourner la situation. Et cet acte était de prendre du temps pour moi avant la visite et d’être « transparente », c’est-à dire de parler à Viviane de moi.

Prochain rendez-vous

Ce jour-là, avant d’entrer chez elle, je me suis accordée du temps pour admirer les arbres dans leur robe automnale. J’ai dégusté le bleu si tendre du ciel. Et quand Viviane a ouvert la porte, j’étais en phase avec elle, calme intérieurement. J’ai pu être sincère avec elle et lui dire ma difficulté à écouter les gens qui ont besoin de dire leur malheur parce que moi, je n’ai jamais eu le droit de me plaindre. Aussi, ai-je dû gommer tout mon mal-être par un faux positivisme « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ». Cette confidence a déclenché une belle connivence et je lui ai demandé qu’elle me dise quand elle a l’impression que je la coupe court et que je n’entends pas sa souffrance. Alors, elle a ajouté. « Et vous, dites-moi ce qui vous agace chez moi ! » J’en étais soufflée. Et puis, sur un ton mystérieux, elle a continué : « Avant de partir, je vais vous demander encore quelques minutes. Prenez votre chaise et venez vous installer tout près de moi ! » (d’habitude je suis assise en face d’elle). Elle est venue se blottir contre mon épaule. Je lui ai caressé le dos, la joue, les cheveux très tendrement. Elle avait besoin de ce contact physique. Elle me l’a demandé et j’ai pu le lui donner. Et ce fut un magnifique moment de sincérité, de tendresse et de complicité. Quelle belle rencontre ! Je suis très heureuse d’avoir accepté cet accompagnement.

Par Lisette Rouge –