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Un accompagnement qui commence mal…

Rose la princesse

roseprincesseEn cours de formation chez Entrelacs, lors d’un séminaire en juin, la formatrice nous fit part d’une demande d’accompagnement pour une dame âgée, hongroise, qui était très isolée, car elle avait fait le tri autour d’elle. Elle demanda si l’une d’entre nous était intéressée par cet accompagnement.

Ni une ni deux, le lieu géographique me convenant, je me suis dit que cet accompagnement était pour moi et qu’il fallait rapidement mettre en pratique ce que nous avions appris depuis le début de la formation. J’ai contacté l’infirmière de Rose et nous avons fixé un rendez-vous. Elle m’accompagnerait chez cette dame pour la première rencontre.

Quelle rencontre…. Arrivée chez elle, j’ai ôté mes chaussures dans son hall afin de ne pas salir son tapis, j’ai laissé ma jaquette et mon sac dans son hall également et j’ai suivi Rose dans sa salle à manger. L’infirmière n’a rien dit, mais est restée un quart d’heure. J’ai eu droit à un quasi interrogatoire. Elle m’a demandé ce qui me motivait à m’occuper d’une vieille ruine comme elle, si j’avais rien de mieux à faire dans la vie, ce que j’avais étudié, elle m’a clairement fait comprendre qu’elle supportait assez mal les gens qui venaient chez elle, ôtaient leurs chaussures et laissaient leurs affaires dans l’appartement sans autre. Autant dire que ce message m’était clairement destiné. Ça commence bien, me suis-je dit dans ma tête.

Ce n’est pas grave, je n’étais pas là pour passer un examen. Je lui ai donc expliqué ma formation, l’intérêt que j’y portais, ce que je comptais lui offrir en temps et lui ai dit que pour ma part, je n’étais pas là pour lui faire subir ma présence et que si tant pour elle que pour moi nos rencontres étaient un poids, on y mettrait fin tout de suite. Nous avons donc convenu que je passerai une fois pas semaine pour 1h30 de conversation, car elle ne pouvait pas sortir de chez elle, ne tenant pas bien sur les jambes.

Cette rencontre fut un bel apprentissage tant pour elle que pour moi. Nos rencontres ont débuté le 7 juillet 2003 et chaque semaine fidèle au poste j’ai appris à approcher Rose.

Le début fut quand même épique. Elle était sur ses gardes, de peur que je lui vole son oxygène. Les premiers mois, à chacun de mes départs elle me disait qu’elle avait beaucoup souffert dans sa vie, qu’elle avait eu beaucoup de déceptions et qu’elle espérait vraiment que je ne serais pas sa dernière déception…

Rose de par son parcours était quelqu’un de très méfiant. Elle éprouvait une haine terrible envers sa mère qui l’avait enfermée les six premières années de sa vie, sans qu’elle n’ait pu voir un autre être humain hormis sa mère. L’arrivée à l’école à l’âge de six ans a été un choc pour elle.

Puis, dans une suite de vie qui peut paraître logique compte tenu de son vécu, elle a épousé un homme qui avait besoin d’une femme de ménage, d’une belle femme à pavaner, mais qui apparemment n’éprouvait aucun autre sentiment pour elle et la traitait comme un objet.

En plus de tout cela, Rose d’origine hongroise avait connu la guerre et a dû fuir la Hongrie.

Les mots tendresse, amour, sincérité, elle ne les a jamais expérimentés. Pour ma part, bien que n’ayant pas eu la même enfance qu’elle, je n’ai jamais côtoyé des mots d’amour durant mon éducation.

Nous avons petit à petit tissé des liens, pris nos marques. Elle avait toujours un « foutu caractère », quand même. Depuis notre rencontre elle a éjecté son infirmière, me disant qu’hormis le fait qu’elle m’ait présenté à elle, elle n’avait jamais rien fait de bien. Elle a viré sa femme de ménage, viré une autre accompagnante, tout cela pour des motifs peu convaincants, et je me suis demandée quand ce sera mon tour.

Quelle ne fut pas ma surprise le jour où elle m’a dit « je vous aime », le jour où elle m’a remercié d’être son pilier de vie, de lui avoir donné l’envie de continuer son parcours terrestre. Un peu mal à l’aise au début, j’ai réussi petit à petit à accepter cela. Dès lors, quasiment chaque semaine elle m’a remercié d’être son ange gardien. En plus elle me caressait le visage, et moi qui déteste cela, je recevais son geste comme un cadeau. Elle me disait que son grand regret était de ne pas être ma mère ! Pour ma part, je l’appelais « ma princesse ». Elle aimait cela.

Quelle évolution magnifique nous avons fait !

Dès le début, Rose me rappelait régulièrement qu’elle était inscrite depuis 10 ans déjà à Exit et qu’elle ferait appel à eux le jour où la vie ne serait plus supportable pour elle. En plus de ses douleurs physiques permanentes que les médicaments ne soulageaient que peu, elle avait une grosse crainte de perdre la tête.

L’idée d’un départ provoqué avait bien pris racine en elle. En mars 2005 elle m’a demandé d’écrire au propre une lettre qu’elle avait rédigée pour Exit. Elle souffrait trop aux mains pour l’écrire elle-même. Elle désirait leur intervention rapidement, car elle en avait marre. Je me suis exécuté, quand même avec quelques scrupules. Peu après elle m’a annoncé lors d’une de mes visites qu’elle avait fixé une date. Elle avait choisi après la fin du printemps, en été. Elle en parlait régulièrement lors de nos rencontres.

Début juillet 2005, cela faisait 2 ans que j’allais régulièrement chez Rose. Elle m’a offert un bracelet en me disant qu’ainsi je serai obligée de penser à elle, sauf si je mettais ledit bracelet au fond d’une armoire.

Je lui ai expliqué que son souvenir était dans mon cœur et ne s’arrêtait pas à un objet symbolique.

Elle avait fait acheter une petite bouteille de champagne et quelques flûtes salées. Nous avons donc trinqué. Elle qui ne buvait jamais d’alcool, ce fut très touchant. Comme elle marchait un peu mieux, je l’ai prise dans mes bras et nous avons dansé une valse.

Peu de temps après, je lui ai annoncé que je m’étais mariée et que si elle le souhaitait, je lui présenterais bien volontiers mon mari.

Sur cette proposition, elle est d’abord montée sur ses gardes en me demandant si mon mari était gentil avec moi, s’il me méritait et s’il était bien conscient de la chance qu’il avait de m’avoir, etc. etc.

Mais ensuite, elle admettait qu’elle faisait quand même un peu partie de ma famille maintenant et qu’elle voulait bien rencontrer mon mari. Elle l’a rencontré et en août 2005, je lui ai annoncé que j’étais enceinte. Cet événement a été très important pour elle et elle a complètement cessé de me parler d’Exit. Tout du long de mes 9 mois de grossesse, je lui montrais des photos des échographies, elle me caressait le ventre et me disait que j’allais être une maman formidable. Elle a suivi de très proche cet événement en me posant chaque semaine des questions. J’ai fait une petite pause en fin de grossesse et après l’accouchement, mais ma sœur qui s’était aussi jointe depuis un an à l’accompagnement de Rose, était restée bien présente auprès d’elle afin de lui montrer des photos de mon bébé.

Puis, enfin je suis aller la trouver pour lui présenter mon petit bonhomme. Elle l’a pris dans ses bras avec une infinie tendresse. Elle m’a dit que ce bébé était aussi un peu le sien. Durant ce moment d’intimité entre mon petit Léo et elle il s’est dégagé un amour très fort, je n’ai jamais imaginé qu’elle puisse en avoir autant. Elle lui a parlé avec une incroyable douceur en lui caressant le visage.

Peu de temps après elle a pris sa décision de quitter ce monde devenu bien trop difficile à vivre pour elle. Accompagnée notamment de ma sœur, elle est partie sereinement rejoindre un monde qu’elle espérait sans souffrance. Rose nous a quitté en 2006 de plein gré après 3 ans d’accompagnement.

Voilà, comment les premières notes dissonantes de l’histoire de la princesse Rose et moi se sont transformées, petit à petit, en une douce mélodie.

Cet accompagnement a été un cadeau pour moi. Merci à Entrelacs grâce à qui j’ai pu vivre cette expérience.

Christiane Pannatier