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Mon premier accompagnement

La dame qui parlait avec le pouce

pouceAyant depuis longtemps envie d’accompagner des personnes en fin de vie, j’ai suivi en 2004 une formation auprès de l’association « Entrelacs » à Genève. A la fin de ma formation, en octobre 2004, Lydia Muller, la responsable de l’association, me demande si je suis prête à accompagner une dame qui vit dans une maison de retraite.

« Oui, bien sûr », lui dis-je.

Elle m’informe qu’il ne s’agit pas d’une personne mourante à proprement parler, mais d’une personne malade qui ne peut ni marcher, ni parler, ni boire, ni manger. La question est montée en moi : comment alors l’accompagner ?

Je prends rendez-vous avec l’animatrice de l’EMS, qui me donne quelques informations sur l’état physique de Rosemarie (nom modifié) : Comme elle ne peut plus parler et ne peut que très peu bouger, c’est avec son pouce qu’elle dit oui (le pouce monte) ou non (le pouce descend). L’animatrice me la présente et lui demande si elle veut bien de mes visites. « Oui », fait Rosemarie.

La première rencontre, qui a lieu un matin en novembre, est facile : il faut d’abord que Rosemarie sache qui je suis, d’où je viens, ce que j’ai fait dans la vie, alors je raconte et elle écoute.

Je reviens l’après-midi pour écouter avec elle un chœur qui chante de très belles chansons à la maison de retraite. Rosemarie semble contente et je me sens bien avec elle. Oui, je vais essayer de l’accompagner.

Depuis ce jour, je lui rends visite chaque mardi matin. Je viens vers 10 heures, et normalement, elle se trouve en bas, dans sa chaise roulante, devant la télévision. Nous montons dans sa chambre.

Je me suis vite rendu compte que Rosemarie est une personne très aimable et sensible. Je me suis aussi aperçue, après quelques visites, qu’elle ne me « dit » jamais « non » alors que le personnel soignant me confirme qu’elle sait « dire » non. Veut-elle être trop gentille avec moi ? Est-ce que je lui pose les mauvaises questions ? Je lui fais part de cette réflexion, elle rougit et me « promet » de me le « dire » si quelque chose ne lui convient pas.

La fois suivante, j’ai commencé à lui lire un livre en suisse allemand (sa langue maternelle), je pensais qu’il pourrait lui plaire, mais visiblement cela n’a pas été le cas. Je la sens fatiguée et absente. A ma question : « Est-ce que vous aimeriez que je vous quitte ? », elle répond affirmativement par un grand signe bien clair. J’étais quand même un peu vexée !

Mais, j’ai envie de mieux la connaître !

Les rencontres que j’ai pu avoir avec une de ses amies et avec son fils cadet m’ont été précieuses. Enfin, j’en apprends un peu plus sur sa personne, sa vie, ses valeurs et ses envies. Son amie m’a dit : « Si, vraiment, vous voulez lui faire plaisir, lisez-lui le Nouveau Testament ! ».

Ouf… lire le Nouveau Testament… moi qui n’avais plus ouvert la Bible depuis mon adolescence ! En plus, je n’en avais aucune envie !

Mon hésitation n’a pas duré longtemps. N’avais-je pas dit vouloir l’accompagner ? Accompagner, c’est quoi ? Rencontrer la personne là où elle se trouve, dans son monde et pas à ma façon et selon mes envies.

Je me suis aussitôt rendue à la Maison de la Bible où, après m’être faite conseiller, j’ai acheté un exemplaire du Nouveau Testament.

Alors dès ce moment là, Rosemarie ne m’a plus demandé de partir. Elle écoute, ses yeux brillent et ce n’est plus moi qui caresse ses mains, mais elle qui caresse les miennes.

Quelle intensité !

Après cette première lecture, je n’avais, en la quittant, pas envie de me laver les mains : je voulais garder sa chaleur encore un peu avec moi.

Les visites ne se déroulent jamais de la même manière. Rosemarie est souvent « absente » et pendant ces moments ce n’est pas utile de lire ou de parler. Là, je peux juste être à ses côtés, tenir sa main, respirer avec elle : « essayer de l’accompagner là où elle est ». Je ne suis pas de nature patiente, mais avec elle j’apprends à juste « être » et pas toujours « faire ».

Et la Bible ? À ma grande surprise j’aime la lire, il y a des textes magnifiques qui en plus me sont d’une grande aide dans la « discussion » avec Rosemarie.

Et puis, un jour, fin janvier, pendant que je lisais pour elle, elle reçoit la visite d’un ami de son Eglise. Je ne l’ai jamais vue aussi heureuse, son visage s’est illuminé et elle lui a fait un tout grand sourire. Quand son ami lui a dit : « Tu as de la chance d’avoir quelqu’un qui t’accompagne ! », elle s’est tournée vers moi et, pour la première fois, elle m’a également régalée par ce même grand sourire. Cela m’a chauffé le cœur.

Je pense souvent à elle, les autres jours de la semaine aussi, et mes visites hebdomadaires me sont devenues très chères. Finalement, la parole n’est qu’un outil parmi d’autres pour communiquer ! Rosemarie s’est paisiblement éteinte 8 mois plus tard.

Jetty Van den Boom