Aller au contenu

Malgré mon entourage, j’ai l’impression d’un abîme de solitude

Il y a quelques mois je vous avais parlé de la mort de ma fille et je m’adresse de nouveau à vous car malgré mon entourage et mes aides (physique, psychologique, amicales) j’ai l’impression d’un abîme de solitude… je me sens mal et en décalage avec les autres. La vie s’écoule sans moi, en dehors de moi. Le chagrin et la douleur de l’absence grandissent au lieu de s’atténuer, ça prend tout mon espace intérieur et je n’admets pas qu’on puisse parler d’autre chose. Ce besoin (réfréné et contrarié) de brandir mon deuil comme un étendard me paraît hors des normes de la société mais tous ceux qui ne s’en préoccupent pas me blessent par leur attitude. Je me sens rejetée et c’est comme si je n’existais pas, comme si ma fille n’avait pas existé. D’autre part, je ne parviens pas à me pardonner d’avoir été en si grand décalage par rapport à ce qu’elle vivait au plus profond. Sur le moment, je me sentais « adéquate ». Maintenant j’ai la sensation d’avoir été aveugle. La lecture de votre livre parfois me rassure mais souvent m’amène des regrets par rapport à ce que j’ai fait ou pas, dit ou pas, à comment je me suis comportée… Pour me calmer, j’écris parfois, je lui parle dans ma tête mais j’ai l’impression de tourner en rond au lieu d’avancer! Je ne trouve pas ce qui est juste pour moi maintenant ni vers où je veux aller. J’ai d’ailleurs des douleurs physiques qui m’empêchent de me promener comme j’aimais le faire… Je crois que j’aimerais juste être dans la mourance. Votre réponse m’ouvrira-t-elle de nouvelles pistes?

Réponse de Lydia :

Je trouve assez normal ce que vous me décrivez, beaucoup de mères « désenfantées » pourraient dire la même chose que vous : un vide abyssale, de ne plus vivre ou seulement à travers la perte de l’enfant, de s’enfoncer… Ce n’est pas pour rien que dans les groupes de deuil ça fait du bien de pouvoir parler de son cher défunt sans gêner qui que ce soit. Aujourd’hui, vous êtes consciente d’un aspect difficile : votre aveuglement, et vous n’avez pas encore assez de pardon pour vous et votre déni. Pourtant, comment vous vous êtes comportée avec votre fille me semble complètement normal dans notre société, même mieux que la moyenne, je trouve. Il faut une très grande maturité et sagesse, voire bien des expériences de deuil déjà traversées, pour faire face à la mort d’un enfant avec sérénité. L’espoir vous a, certes, grandement aveuglée, mais il n’est pas juste de vous en vouloir. Bonne idée d’écrire! Je vous conseille même de commencer un beau cahier dans lequel vous écrirez les lettres à votre fille, n’écrivez pas seulement dans la tête ! Ecrivez-lui tout ce que vous regrettez et ce que vous lui diriez aujourd’hui. Demandez-lui pardon pour ce que vous regrettez d’avoir fait/dit/pas fait/pas dit, à défaut de pouvoir vous pardonner vous-même. (Elle vous a certainement déjà pardonné depuis longtemps !) Remerciez pour les aspects que vous sentez étaient justes et de tout ce que vous avez appris. Ainsi chaque jour écrivez-lui quelques lignes sur vos états d’âme. Deuxièmement, n’oubliez pas que votre fille vous avait dit : « il ne faudra pas pleurer, il faudra vivre. » Alors là, vous manquez à sa demande !! Je vous suggère de prendre chaque jour un petit engagement envers elle dans ce cahier en disant comment vous allez réaliser sa demande de façon concrète ce jour-ci. Puis le soir, vous pouvez lui écrire comment cela c’est passé. Au cas où que vous avez le sentiment d’entendre sa réponse, écrivez-la. N’hésitez pas de revenir si vous avez d’autres questions. Un jour vous verrez, ce deuil deviendra une force. D’ici là, patience !

Suite du 10 août

Merci, chère Lydia, pour votre conseil d’écriture régulière et adressée à ma fille. C’est douloureux et apaisant à la fois. Ca éclaircit les idées et libère l’esprit de la rumination. Je me surprends à rester avec elle plus longtemps que je ne pensais! Les émotions s’expriment avec force à ce moment là et perturbent moins le reste de la journée. J’espère tenir la route sur la durée car c’est un gros effort de m’y mettre. Je ressens toujours une certaine peur de commencer! Je vous suis reconnaissante pour votre disponibilité et vous embrasse.

Question du 16 septembre 2013 (Suite de la question du 4 août)

C’est encore moi! Presque tous les jours, j’ai écrit à ma fille avec une sensation de contact; j’ai noté mes états d’âme, avec petit à petit moins de peur et un réel mieux-être… Mais voilà que tout à coup cela devient comme… abstrait! Le contact se dilue et j’ai l’impression de la perdre encore une fois. L’horreur de l’absence revient au premier plan. Certains jours, le lien intérieur n’est plus là. J’ai même de la peine à regarder ses photos… Je la sens si loin qu’ elle en devient presque une étrangère! C’est affreux. Les images de sa dernière journée m’assaillent à nouveau avec leur cortège de regrets, culpabilités et envies de réponses que je n’aurai jamais…

Réponse de Lydia :

Ce qui m’est venu est que votre fille s’est retirée un peu, mais ce n’est pas méchant, c’est comme une mère qui se retire pour que l’enfant marche seul. L’enfant peut se sentir abandonné, or ce n’est pas un abandon, mais une invitation à marcher seule. Votre fille ne doit pas devenir une béquille – cela vous rendrait infirme. Levez-vous en honneur pour elle! Puis sachez que ces aller-retour sont normaux. Vous la cherchez encore en dehors, jusqu’à ce que vous l’aurez intériorisée. Les images du passé qui viennent, elles remplissent le vide, c’est tout. Ca n’a pas d’autre but et pas plus d’importance. Ne tombez pas dans le piège de l’ego désœuvré qui doit remplir le vide à tout prix pour se sentir exister. S’il faut remplir votre cœur de quelque chose c’est de remerciements d’avoir eu cette fille. Ecrivez sur un papier ce que vous aurez aimé faire différemment: ce seront les leçons que cette expérience vous enseigne. Il faut bien faire faux pour voir le juste, non? Mais arrêtez de vous accabler! Ce n’est pas digne de vous. Personne ne vous a aidé et jamais personne ne vous a enseignée comment vous comporter devant une telle perte. C’est la vie qui vous l’enseigne. Un jour deviendra un atout tout ce que vous avez raté, car vous pourrez comprendre d’autres qui se ratent et les aider à s’accepter. Cet automne, le 29 octobre je donne une conférence à ce sujet au Muséum d’Histoire Naturelle « Votre épreuve devient un atout! » La femme que vous êtes ne se rend peut-être pas compte, mais il y a une petite fille à l’intérieur de vous qui a très peur, voire refuse de lâcher la main de sa fille. Il va falloir commencer à dialoguer avec cette part en vous pour comprendre quel drame la mort de votre fille réveille.