Aller au contenu

Les malades ayant « perdu la tête » sont très sensibles

L’arroseuse arrosée

arroseuseC’est l’infirmière à domicile de Johanna qui a pris contact en son temps avec Entrelacs. Elle souhaitait qu’une bénévole accompagne la vieille dame de 82 ans pour des promenades ou des moments récréatifs au salon de thé du village. Moi, je venais de terminer ma formation Grand Cycle et Johanna habitait dans ma région. J’ai donc accepté cet accompagnement avec grand plaisir. Cela fait aujourd’hui sept ( !) ans de cela et je dois avouer que pas une seule fois je ne suis sortie avec Johanna… A chaque proposition, elle préférait rester chez elle, car m’affirmait-t-elle : « Je sors déjà beaucoup. » Mais en réalité mon accompagnée ne « sort » plus que dans sa tête, car elle a perdu la mémoire récente, et ne se souvient donc pas de ce qu’elle a fait quelques minutes auparavant.

Depuis quelques semaines, à chaque visite, elle me demandait comment allait ma sœur. Je lui répondais invariablement que je n’avais pas de sœur et qu’elle devait me confondre avec quelqu’un d’autre. Puis j’en ai parlé en supervision. Lydia m’a conseillé d’entrer dans le monde de Johanna et d’accepter que pour elle j’avais une sœur, que cela avait certainement une raison d’être. C’est ce que j’ai fait. A la nouvelle question de Johanna j’ai répondu que ma sœur allait bien et j’ai ajouté : « Mais en fait, comment avez-vous connu ma sœur ? » Et c’est là que je suis restée bouche bée, car la vieille dame m’a rétorqué : « Mais vous m’aviez dit que vous n’aviez pas de sœur ! » J’ai repris mes esprits et j’ai dit à Johanna : « Vous aviez l’air si contente que j’aie une sœur, je ne voulais pas vous faire de peine ! » Elle a vaguement souri et depuis elle ne me pose plus cette question ! – par Josianne Bozzolo


 

Commentaire de Lydia :

C’est un très joli exemple prouvant que les malades ayant « perdu la tête » sont très sensibles si nous sommes en vérité ou pas. Nous confondons souvent « entrer dans son jeu » ou « entrer dans son monde ». Là, Josiane est entrée dans son « jeu » en affirmant d’avoir une sœur qu’elle n’a pas. Johanna semble avoir eu une perception extrêmement fine du mensonge ce qui la connectait immédiatement à la réalité.

Cela me fait penser à un autre cas d’une dame qui, ahurie, alerta deux infirmières : « Venez vite, mon mari est sous le lit ! » Les deux infirmières se rendirent dans la chambre de la dame et l’une des deux s’exclama : « Oh oui, je le vois, mais qu’est-ce qu’il fait là ? » La dame se tourna vers la 2e infirmière et dit : « Elle est toquée, celle-là ? Elle ne sait pas que mon mari est mort depuis longtemps ? » Dans son monde intérieur Johanna « reconnaît » en Josiane quelqu’un qui a une sœur, l’autre dame « voit » son mari sous le lit, mais c’est une vision intérieure connectée peut-être à des souvenirs qui resteront inconnus pour nous. Elles ne savent plus distinguer entre images intérieures et réalité extérieure qui se confondent. Dans les deux situations « jouer un jeu » semble avoir le pouvoir immédiat et étonnant pour les reconnecter à la réalité.

Je n’ai pas dû être claire en supervision, car il aurait fallu plutôt dire par exemple : « J’aurais bien aimé avoir une sœur, mais vous-même, avez-vous eu une sœur ? Comment était votre sœur avec vous ? Vous l’aimiez ? » etc. Ou à la dame avec son mari sous le lit, il aurait été plus juste de demander : « C’est la première fois que vous voyez votre mari sous le lit ? D’après vous, qu’est-ce qu’il veut ? Votre mari vous manque ? »