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Je me culpabilise de ne pas avoir envie de voir mon père

J’ai un papa âgé de 79 ans qui vit dans le sud de la France. Moi-même j’habite en Suisse, suis mariée et maman de 2 enfants. Je n’ai ni frère, ni sœur. Mon papa est depuis de longues années sous tutelle. Il n’a jamais su gérer son argent et le divorce entre mes parents l’a plongé dans l’alcool et la dépression. De ce fait, je n’ai jamais eu de vraie relation père-fille. Il a toujours attendu de l’aide de ma part et lorsque je descendais le voir, j’étais toujours déçue et gênée de le trouver dans un état proche du clochard. J’espérais toujours que lors de ma visite, il ferait un effort par respect pour moi et pour lui-même mais j’ai toujours été déçue. Avec l’âge, les choses ne se sont pas arrangées. Il n’est plus à même de vivre à la maison et ne veut pas entrer dans une maison de retraite. Il héberge donc un copain qui n’a pas de revenu fixe pour, en contrepartie, l’aider dans son quotidien. Je l’aide de façon ponctuelle en lui faisant livrer des courses, je l’appelle régulièrement au téléphone. Par contre, je ne descends qu’une fois par année car j’ai peu de plaisir à le voir. Tout est compliqué car il faut, pour pouvoir sortir avec lui, le rhabiller, voire le laver, et penser à tout car il marche de plus en plus mal, voit et entend mal et ne peut plus manger n’importe quoi. C’est un vrai casse-tête. Mon problème est que je me culpabilise de descendre si peu (parfois il me dit qu’il a l’ennui). Je me culpabilise aussi de ne pas avoir envie de voir mon père (l’entendre au téléphone me suffit). J’ai le même problème de culpabilité avec ma maman qui est décédée depuis bientôt 20 ans et avec laquelle j’ai aussi vécu pas mal de difficultés liées à l’alcool et la dépression. Je ne ressens pas le besoin d’aller sur sa tombe. Toute cette culpabilité est difficile à gérer et je dois sans cesse lutter contre ma petite voix intérieure qui veut me faire croire que je suis une mauvaise fille. Merci d’avoir pris le temps de me lire.

Réponse de Lydia :

Je vous remercie pour votre message et partage si sincère. La culpabilité est vraiment un sentiment sournois et nuisible pour notre être. Il faudrait vous demander : quelle est vraiment votre faute pour mériter de vous sentir coupable? De ne pas aimer vos parents? D’avoir du ressentiment envers eux pour les souffrances qu’ils vous ont infligées ? De ne pas faire votre « devoir » filiale attendu? De ne pas pouvoir sauver vos parents? Il est vrai que les enfants ont une dette envers leurs parents, ne serait-ce que d’avoir reçu la vie. Mais ceci dit, avec les problèmes d’alcool les relations sont toujours très perturbées. Je pense que votre problème d’abord n’est pas tant l’inacceptation de l’état de délabrement de votre père, mais les sentiments négatifs de rejet – par ailleurs assez normales – qui vous habitent. Il faut vous occuper de ceux-là et notamment de la souffrance sous-jacente, leur absence en tant que parents pour vous et l’espoir déçu qu’ils changent enfin. Traverser cette négativité et reconnaître votre souffrance est nécessaire afin de pouvoir la laisser derrière vous et peu à peu arriver à pardonner à vos parents de s’être enfoncés dans leur misère, de ne pas avoir su/voulu s’en sortir. Vous avez manqué d’un modèle de parents évoluant en beauté vers leur vieillesse et je comprends que vous leur en voulez. Vous aurez à réussir la vôtre de vieillesse pour vous-même et vos enfants ! Actuellement vous vous protégez de la misère de votre père qui vous fait souffrir – c’est normal. Je pense que tant que vous avez encore des attentes (inconscientes) envers lui qu’il change, et envers vous que vous devriez le sauver, vous ne pourrez pas le rencontrer vraiment. Il va falloir faire le deuil du père que vous aurez aimer avoir et qu’il ne sera jamais. Après, il deviendra possible d’accepter le pauvre être humain dans la misère tel qu’il est et de lui offrir votre présence et aide de temps en temps sans souffrir. (Un peu comme Mère Térésa (pardonnez-moi la comparaison !) l’a donné aux pauvres miséreux à Calcutta sans dégoût ni commisération.) Mais ceci nécessite probablement un travail psychothérapeutique, comme j’ai dû le faire concernant ma mère. Mais, je trouve que ce que vous faites actuellement pour lui n’est déjà pas mal. Vous vous occupez de lui à distance en respectant votre limite. Vous gardez le lien avec lui par téléphone ce qui lui signifie qu’il existe. Il va falloir accepter vous-même avec vos limites qui cependant peuvent se modifier au fur et à mesure que vous cheminez par rapport à la relation avec lui.

PS. J’ai animé il y a quelque temps des séminaires « Devenir parents de nos parents » où ce type de problème pouvait être traité. Suite à plusieurs interpellations, je vais le remettre au prochain programme d’Entrelacs 2014-15.