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Interview avec John qui regarde la mort en face

Ma mort est proche, traitez-moi d’égal à égal !

johnLa mort, sujet toujours difficile à évoquer, surtout avec une personne dont chaque jour est peut-être le dernier. John Chevalley, 53 ans, atteint dès l’âge de 16 ans par la maladie d’Hodgkin stade IV, est en
sursis depuis 1982. Il nous parle des difficultés qu’il éprouve à avoir une conversation traitant de sa mort prochaine.

S.J. Nous avions prévu le rendez-vous hier. Mais votre santé en a décidé autrement. Comment allez-vous aujourd’hui ?
John Chevalley : Hier, l’esprit n’était pas là. Aujourd’hui, je ne me sens pas terrible, je ne suis pas à l’aise, mal dans ma peau. Depuis le début de cette année, je suis constamment enquiquiné et je vis des moments difficiles. [soupir] Mais je suis là…

Comment explique-t-on à son entourage le fait d’être en sursis permanent ?

Mmm, c’est très difficile à expliquer. [silence] On dit : « Voilà je suis atteint de la maladie d’Hodgkin, j’ai frôlé la mort ».

Les réactions quand tu annonces cela ? [il joint les mains et regarde le plafond, la bouche ouverte]

« La mort ? non ! » Ça fait peur aux gens. La mort fait peur, mais en réalité elle ne devrait pas ; dès que l’on vient au monde, c’est pour mourir. Certains acceptent d’en parler, d’autres pas.

Pour ceux qui l’acceptent ?

Un ami, au foot, est heureux à chaque fois qu’il me rencontre. Il me dit: « Tu vois que tu es vivant ! »
Il ne veut pas me voir partir.

Et ceux qui ne l’acceptent pas ?

Tu le sens dans leur regard, dans leur comportement. Ils se détournent, t’évitent. À ce moment-là, tu laisses tomber, ils n’ont pas envie de t’écouter.
Parfois c’est ta propre famille, tes amis, qui n’ont pas envie de converser sur ton état.
Tu les gonfles, ils en ont ras le bol d’entendre toujours les mêmes histoires.
Mais tu ne peux pas en raconter d’autres… Je n’en ai pas d’autres.
C’est mon quotidien, mon combat, alors je ne dis plus rien et je m’enferme sur moi-même. [soupir]
Mais je n’ai pas envie de me taire, au contraire, j’ai envie de leur casser les pieds.

Pourquoi ?

Pour qu’ils prennent conscience que l’on ne choisit pas d’être malade, et qu’un jour, ça peut aussi leur arriver. Et ce jour, peut-être se souviendront-ils que je me suis battu chaque jour de mon existence pour repousser l’échéance de la mort.

Vous avez l’impression qu’ils vous condamnent ?

Je ne pense pas. Je penche plutôt pour la peur d’affronter l’inconnu. Ils préfèrent éviter la conversation. Ils redoutent que je puisse mourir à tout moment. [silence]
Alors je leur confie que j’ai déjà ma place au cimetière, avec balcon et piscine. Et là, ils me prennent pour un fou…

Votre manière de parler de votre mort peut mettre mal à l’aise ?

Ça dérange… Je suis un marginal dans la manière d’aborder le sujet.
Si la maladie ne vous avait pas frappé, seriez-vous différent?
Totalement. J’ai vraiment pris conscient d’être malade en 1982, lorsque mon cœur a commencé à lâcher. J’ai subi une grosse intervention chirurgicale et on ma posé un stimulateur cardiaque.

À partir de là, votre vie à changé ?

Du jour au lendemain.

En quoi ?

Ma manière de penser, d’agir. C’est vrai qu’à partir de là, je n’ai plus vu la vie de la même manière.
Par contre, j’ai constaté que certaines personnes, que je croyais amies, ont commencé à prendre de la distance.

Qu’attendez-vous des autres à votre égard ?

Qu’ils me traitent d’égal à égal, sans crainte de ne pas savoir comment gérer la situation.

Vous comprenez que l’on peut redouter la conversation ?

Oui, je le comprends. Mais d’un autre côté, au bout d’un moment, j’en ai marre !
Une anecdote à propos d’un jeune de 15 ans ; depuis le jour où il m’a vu à la télévision et entend parler de mon combat au quotidien, à chacune de nos rencontres dans la rue, il me dit bonjour et me serre la main, même en présence de ses copains.

Vous avez le sentiment d’avoir fait passer un message ? [il s’avance, sourit ; une étincelle illumine ses yeux]

Ce jeune a compris que rien n’est gagné, que la souffrance peut être terrible, et qu’il a la chance de ne pas être malade.

Ça vous touche ?

Je me dis que quelque chose est passé. Il y a des personnes qui réagissent merveilleusement bien.

Quel message voudriez-vous donner?

Ouvrez-vous aux autres et à vous-même. Écoutez les autres comme vous-même. C’est la richesse de
la vie.

S.J. Janvier 2006