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Confronter sa mère à la réalité

Je suis psychothérapeute et j’accompagne une patiente qui a du installer sa mère dans une maison de retraite, celle-ci rentrant dans une certaine sénilité qui fait qu’elle se perd facilement. Cette vieille dame, très alerte, physiquement, après les activités de l’après-midi ou après le repas du soir salue les personnes à côté d’elles et part. Elle oublie qu’elle habite dans cette institution et est bien incapable et de se rendre à la salle à manger ou bien de rejoindre sa chambre quand elle est dans les pièces communes. Elle dit retourner chez elle, soit chez ses parents, soit chez ses filles qui l’attendent, elle doit leur faire à manger. Voilà les propos qu’elle tient et se révolte quand un soignant ou une de ses filles la récupère sur la nationale. A ce moment-là elle revendique sa liberté, que nous sommes dans un pays libre… puis vient le temps où elle réalise ce qu’elle fait et s’excuse. Elle change d’état au fil de la journée, vieille dame du jour, fille! qui doit retourner chez ses parents, petite fille qui se réjouit des activités, mère de ses filles… Sa fille essaie constamment de la ramener dans la réalité, lui rappelle son âge et que ses parents sont morts. Je lui ai conseillé de rentrer dans le monde de sa mère, de l’interroger sur les inquiétudes qu’elle vit à l’instant, d’essayer de comprendre ces craintes d’ex-petite fille vis-à-vis de ses parents. L’inquiétude majeure de sa fille est qu’elle part régulièrement de cette maison de retraite. Je fais l’hypothèse que tant qu’elle ne pourra pas échanger avec sa fille de ce qu’elle vit dans les différents états, elle continuera à aller chercher à l’extérieur… détail matériel : si elle continue ses départs, la maison de retraite ne pourra pas la garder. Ils n’ont pas les moyens de s’occuper d’elle et sont démunis face à ça. Je te remercie de m’éclairer.

Lydia répond:

Tu avais tout à fait raison de dire ce que tu lui as dit: confronter sa mère à la réalité – qui n’est plus SA réalité à elle – est une voie sans issu. Sa conscience plonge régulièrement dans une « réalité » se situant dans un espace-temps d’il y a 50, voire 70 ou 80 ans en arrière, donc 1920, 30 ou 50… Le seul résultat est que cette vieille dame ne se sent pas comprise et se fâche. Tu as conseillé très justement: La seul manière de rentrer en relation avec sa mère est en essayant de rentrer dans son monde (non pas rentrer dans son jeu, car ce n’est pas un jeu, mais une réalité intérieure), ça veut dire que la fille doit essayer de quitter 2008 pour aller rejoindre sa maman à l’âge où elle se trouve et essayer de faire sens de ce qu’elle vit. Par ex. si elle veut rentrer à la maison pour faire à manger à ses filles cela pourrait-être de dire: « Qu’est-ce que tu veux faire à manger ce soir? » (…la laisser répondre) Répéter: « Ah, des … ex. spaghettis! On a toujours aimé ça. Tu sais, tu as été une bonne cuisinière. Tu te rappelles tes … (tartes, tes fameuses filets de perches etc…? Rappeler des plats réels que la mère a aimé cuisiner, que la fille a aimé) Tu te rappelles quand je te réclamais des … pour mon anniversaire? Tu sais tu as été une bonne maman qui a bien pris soin de tes filles. Viens, tu as bien mérité de te reposer maintenant de cette lourde responsabilité. » Et on peut doucement la ramener à la maison de retraite et l’amener à sa chambre tout en parlant avec elle de recettes culinaires ou de son rôle accompli de maman. Il faut comprendre ce qui se passe dans le monde de sa mère: Ses plongées sont liées à des histoires inachevées, peut-être à une culpabilité de ne pas avoir été assez bonne mère, de ne pas avoir assez fait pour ses enfants. Il s’agit de VALIDER son impulsion de faire à manger, donner une valeur à cette petite maman en souci. Si la vieille dame plonge dans son enfance et veut retourner à la maison il faut à nouveau essayer de la rejoindre dans son monde de petite fille pour comprendre cette impulsion en lui posant des question « Où se trouve ta maison? Comment c’est à la maison? Tu es bien à la maison? … Ton papa (maman) va te gronder si tu rentres trop tard? Il/elle a été sévère avec toi?…) Souvent ce besoin de rentrer est liée à un peur d’une punition, mais parfois aussi la nostalgie d’un nid rassurant. Il importe aussi ici de valider son besoin de rentrer, car il fait sens si on le met dans le contexte. C’est l’occasion de faire parler cette vieille maman de son passé qu’il s’agit d’accueillir. Ce qui est difficile pour ta patiente je pense, est qu’elle souffre d’avoir perdu sa maman déjà avant la mort, car à ces moments-là elle n’est plus sa fille. Son besoin de vouloir la ramener à la réalité signifie en fait: Reviens maman! Je suis là, ta fille, regarde MOI! Ta patiente est confrontée à ce qu’on appelle le deuil blanc, cette perte d’un proche sur le plan du mental, alors que physiquement il est toujours là et bien là. Aide-la dans ce travail de deuil par rapport à cette maman qu’elle est en train de perdre. Alors elle pourra retrouver une vieille femme dont elle deviendra certes de plus en plus « mère », mais avec qui elle pourra vivre encore de délicieux moments. – Je lui recommande de lire le livre de Naomi Feil: Validation, mode d’emploi. – Elle peut aussi faire un séminaire « Devenir parents de nos parents » dont le prochain aura lieu du 7 au 11 juillet et un autre du 1-3 août. Je suis moi-même une fille qui a perdu sa maman avant sa mort et qui – après avoir arrêté de l’espérer différente – a pu vivre une fin de vie magnifique avec elle.