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Je ne comprends pas ce que cette « expérience » est venue m’apprendre

Bonjour, Ma fille de 23 ans est morte le 31 janvier, un an exactement après le diagnostic de mélanome metastasé! Je l’ai accompagnée de mon mieux, avec au début l’espoir d’une longue rémission (mais elle n’a duré que 5 mois) puis, jusqu’au dernier jour (après 4 lignes de traitements chimio et 2 radiothérapies, la certitude d’un miracle… qui ne s’est pas produit. En décembre, elle m’a parlé de la mort, de sa mort avec maturité et lucidité. J’ai été heureuse qu’elle aborde ce sujet que je n’osais pas évoquer mais maintenant je regrette de n’avoir pas pu, pas su approfondir ce dialogue plus tard. Quelques jours avant la fin, elle m’avait confié en avoir assez et vouloir faire appel à Exit. Je lui ai répondu: » ma Chérie, je t’aime et j’aimerais de tout mon coeur que tu restes avec nous mais je comprends ta souffrance et si tu n’en peux plus je n’ai pas le droit de te retenir ». Cette phrase me hante et je me demande encore et encore si j’ai eu raison, si ces mots ne sont pas la cause de son lâcher-prise… Elle m’a « permis » d’être là pour ses derniers instants et pendant quelques semaines j’ai vécu mon chagrin avec une étonnante sérénité, portée par ce cadeau, par sa dernière phrase (« c’est pas grâve, maman »), par sa demande (« il ne faudra pas pleurer, il faudra vivre »), par son courage pendant toute une année, son refus de se plaindre… elle ne pleurait pas sur son sort, je n’avais pas le droit de pleurer sur le mien! Mais depuis quelques temps, les regrets et la colère m’envahissent.

Je suis en colère contre les infirmières qui n’ont pas mis de gants pour manipuler son implant sous-cutané par lequel elle recevait les traitements ce qui a permis qu’elle attrape une bactérie qui a achevé de l’affaiblir, en colère contre l’oncologue qui a placé une sédation sans nous dire que c’était irréversible et qui a organisé une veille permanente pour ce qui devait être sa dernière nuit sans nous prévenir (par chance mon instinct m’avait dit d’aller la voir), bref la liste est longue et j’en veux à tous les soignants de Beau-Séjour pour qui je sentais qu’elle était condamnée dès son arrivée, qui n’ont pas cru comme ma fille, comme nous, qu’une autre issue était possible. Ca m’a coûté beaucoup d’efforts de me protéger contre cette ambiance létale et pour lui apporter du positif. Maintenant je suis épuisée, remplie des regrets de tout ce que je n’ai pas dit ou pas fait, je reproche aux soignants leur disfonctionnement et ne sais pas si le leur dire me soulagerait. Je ne comprends pas ce que cette « expérience » est venue m’apprendre et ne vois pas quel sens donner à ma vie…???

Réponse de Lydia:

Quelle magnifique expérience vous avez vécu grâce à votre fille! Tout ce que vous écrivez témoigne de la grandeur d’âme et dignité de votre fille et du grand amour que vous aviez pour elle. Il n’y a rien à rajouter ni a enlever ! Votre sorte d’ »état de grâce » après sa mort d’ailleurs en témoigne. Maintenant vous êtes retombée et votre petit ego vous raconte plein de choses comment cela aurait dû se passer différemment et qu’alors tout serait différent, surtout que votre fille vivrait encore. Peut-être vous auriez pu parler plus si vous aviez été plus consciente de l’inéluctable de sa maladie. Je crois que votre fille – plus que vous – savait où elle allait. Pourtant je vous affirme que ce que vous lui avez dit – sans lui avoir caché que vous aimeriez tellement la garder auprès de vous – lui a permis de lâcher tranquillement et sans le déchirement de devoir vous décevoir ni à avoir à s’arracher à vous. Peut-être mon livre « La fin de vie une aventure » pourrait vous aider à faire sens de votre expérience. Actuellement vous êtes happée par la souffrance du manque et de son absence, voici ce qui se passe. Cela s’appelle le deuil et vous aurez à le traverser.

Il y a un site que je vous recommande, www.traverserledeuil.com,comme aide dans cette phase dela vie. Les auto-reproches et les accusations vers autrui et notamment contre les médecins et soignants sont très fréquents. Ne servent-ils pas à vous faire croire que votre fille pourrait encore être en vie si…, ou ça se serait passé différemment si… ? Mais j’ai une autre question : Comment vivre à la hauteur de ce vécu avec votre fille et en honneur de la grande âme qu’elle a été ? Quand vous êtes abattue par le manque, là donnez-vous le droit de pleurer, car quand on est triste il est bon de pleurer. Puis, nommez où elle vous manque et ce qui ne sera plus jamais et donc fait si mal. Mais en même temps, entendez-vous que c’est le signe que vous avez reçu d’elle ou par elle ? Alors remerciez le ciel pour ce que vous avez reçu et vécu pendant 23 ans. Vous aurez à choisir entre le vide dehors et le plein toujours présent dans votre cœur ! Choisir le plein et en remercier ne fera pas disparaître le vide et le manque, mais cela l’adoucira. En ce qui concerne les soignants, je crois qu’ils rencontrent tant d’espoirs déçus qu’ils n’ont pas la force de l’investir. De plus ils ne ressentent pas le puissant attachement existant dans la famille donnant la force à s’accrocher envers et contre tout à l’espoir d’une rémission. Je ne crois pas que l’expression de la votre colère amènera un quelconque bien à celles qui par leur imperfection ont fragilisé votre fille. La conscience de leurs erreurs leur pèse généralement très lourdement. Mais ceci est mon avis personnel, par contre essayez de sentir ce que votre fille dirait de tout cela et suivez ce que vous ressentez. Il y a juste une mesure : que cela ne salisse pas la malgré tout magnifique expérience que vous avez eue par elle. Je vous souhaite de continuer sur votre route jusqu’à ce que le sens se apparaisse, car le sens estompe la souffrance.

Suite de la question le 28 mai:

Un grand MERCI, chère Lydia, pour vos remarques et questions. Elles me rassurent et ouvrent des pistes sur mon tortueux chemin de vie… Je dois apprendre la patience et ne pas brûler les étapes mais comment ne pas faire subir à mon fils, qui revient nous voir chaque week-end, le chagrin que je ressens encore plus quand il est là… sachant que ma fille ne franchira plus jamais notre seuil?

Réponse de Lydia :

La question que vous soulevez est importante, car beaucoup de familles dont un enfant est mort, connaissent ce que vous soulevez. 1) Pour les parents l’absence de l’enfant décédé devient plus importante que la présence des enfants qui restent et cela les rend coupable. 2) les enfants pour leur part culpabilisent d’être encore en vie, alors que le frère ou la sœur ont dû mourir. Puis évidemment ils souffrent aussi du fait que dans les yeux des parents l’enfant défunt compte plus que les enfants vivants. De là, croire que l’on est plus aimé mort que vivant, il n’y a qu’un pas. Pour votre fils je vous suggère dans la même lignée que ce que j’ai déjà dit pour la souffrance du manque: Lorsque votre fils rentre et sa présence vous renvoie à l’absence douloureuse de votre fille, reconnaissez cette douleur car elle est. Mais dans un 2e temps reconnaissez aussi combien c’est important d’avoir encore votre fils. L’humain est ainsi fait qu’il ne prend vraiment conscience du précieux que quand il a disparu. Or, servez-vous de cette prise de conscience concernant votre fille pour la diriger aussi vers votre fils, surtout qu’il a l’attention de vous rendre visite chaque week-end. Et dites le lui, par ex. : « je suis heureuse que tu sois là, même si je suis terriblement triste de ne plus jamais revoir toi et ta sœur ensemble. » Et puis ça fait aussi du bien de pleurer ensemble, l’un dans les bras de l’autre, si votre fils le supporte. Ayez de la gentillesse pour vous et de la patience avec votre douleur.