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Une personne en agonie pouvait-elle comprendre ce que je lui disais?

D’après vos expériences et vos différents accompagnements j’aimerais savoir si vous pensez qu’une personne âgée de 84 ans en agonie durant environ 24 heures (maladie : leucémie), diagnostiquée dans un coma (avec hémiplégie gauche suite à un avc dans ces mêmes 24 heures) pouvait entendre et comprendre ce que je lui disais sachant que lorsque je lui parlais à l’oreille elle ne me répondait évidemment plus avec des paroles mais avec des sons, à chaque phrase que je lui disais. Puis lors de mes deux moments d’absence durant le dernier jour de sa vie elle a fait à chaque fois une crise d’épilepsie dont une juste avant le moment de son grand départ, sachant que les soignants lui avaient administré un antiépileptique (donc deux fois ). Je voulais aussi savoir si les 5 minutes avant de mourir, juste après la deuxième crise elle est partie en comprenant mes mots que je lui ai dits à l’oreille?? Sachant que les soignants lui ont administré un soi – disant antiépileptique, les 5mn avant sa mort… Je vous remercie de me faire part de vos ressentis…

Réponse de Lydia:

Vous pouvez être tranquille, cette dame âgée que vous avez accompagnée durant sa fin de vie, vous a certainement entendue. Je doute d’après votre description qu’elle était dans le coma car elle vous répondait de la façon qui lui était encore accessible: en faisons des sons à la place des mots. Même si elle était effectivement dans le coma, il est néanmoins possible qu’elle vous entendait. Nous avons beaucoup de témoignages d’ex-comateux affirmant avoir entendu, parfois même vu depuis un état hors du corps, ce qui se disait ou se passait. Je pense même qu’ils peuvent capter ce que nous leur disons dans notre cœur!

Le 6 octobre suite de la question du 3 octobre ci-dessus

Bonsoir et merci de cette réponse rapide plutôt positive si réaliste car selon les personnes (médecins et autres) les avis restent partagés… moi je crois et j’espère qu’elle m’ait entendue sachant que nous avons vécues 20 ans ensemble (de mes 19 à mes 39 ans) et que notre vie fut très belle. Cependant la semaine avant sa dernière hospitalisation je lui ai dit un tas de méchancetés que je ne pensais évidemment pas mais que je regrette très profondément aujourd’hui encore : cela fait deux ans qu’elle est partie (un 11 septembre 2011)…. j’ai tellement honte d’avoir crié après la personne que j’aimais et que j’aime le plus… nous sommes vraiment, nous êtres humains, très…. contradictoires et … stupides!

En fait lorsque je suis née M. (nous l’avons toujours appelée ainsi) avait déjà 45 ans. Ma soeur et moi-même allions chez elle cependant tous les WE et une partie des vacances d’été. A la base M. était amie avec ma grand-mère maternelle que je n’ai pas connue et a aussi un peu élevé ma mère. Sachant que ma mère l’aura beaucoup déçue du fait qu’elle nous ait abandonnées mes soeurs et moi-même. Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 9 ans. M. a toujours été là pour nous… Puis à l’âge de 19 ans je suis allée chez elle pour des vacances d’été et finalement n’en suis jamais repartie : elle avait déjà 65 ans. Nous avons donc vécu notre petite vie, avec parfois des disputes, comme partout mais beaucoup beaucoup d’amour. Puis M. a vieilli mais je crois que je ne l’ai jamais réellement vu jusqu’à novembre 2005 lorsqu’elle a eu 15 % de la surface corporelle de brûlé au 4e degré (en cuisinant) et s’est faite hospitalisée aux grands brûlés pour des greffes de peau.

C’est à partir de ce moment là que j’ai commencé à prendre soin d’elle et m’occuper de tout. De plus elle avait une DMLA jusqu’à finalement ne plus rien voir dans sa dernière année de vie environ (malgré des R V réguliers chez l’ophtalmo, des collyres pour lutter contre la tension oculaire, opération pour la cataracte et éradication d’un glaucome). Lors de toutes ses nombreuses hospitalisations j’y suis allée tous les jours tout le temps, et je dirais que de novembre 2005 à fin 2009 j’étais au top dans mon rôle d’aidante. Ce qui est normal car nous vivions ensemble depuis 15 ans…. C’était à mon tour de donner le change… et ce, sans regret…vraiment… même si parfois certaines personnes me disaient que je gâchais ma vie et ce genre de stupidités.

Puis après l’épisode de brûlures, elle a fait une chute le jour suivant son retour à domicile et est à nouveau retournée à l’hôpital… Là un médecin a évoqué l’idée de la placer mais évidemment M. ne le voulait pas et moi non plus. Il faut savoir que M. a eu TOUTE sa tête jusqu’à son dernier souffle… J’avais mis en place un lit médicalisé et matériel adapté (chaise percée, déambulateur etc) mais elle ne souhaitait pas s’en servir… Passage d’IDE également pour lui laver le dos et l’aider à l’habillage car en fait M. se lavait tous les jours de la tête aux pieds toute seule et ce, jusqu’à la fin également… une dame très coquette, soignée, dans un environnement très bien tenu par mes soins…

Effectivement nous étions proches et pour moi elle était mieux qu’une maman… Je lui coupais ses ongles, lui enlever ses poils de visage etc…et cela ne me dérangeait pas, au contraire : je crois qu’en fait elle donnait du sens à ma vie… Puis fin 2007 annonce par le médecin traitant de sa leucémie myéloïde en phase aigüe : donc hospitalisation très souvent pour recevoir ses poches de sang et pour tous les problèmes que sa leucémie aura engendré : eau dans le coeur (opérée pour cela), zona, eau dans les poumons, staphylocoque à la jambe, etc.. etc… beaucoup de problèmes mais elle s’en sortait toujours et je croyais que cela était en partie grâce à moi et mes soins…. (je me suis attribué un pouvoir je crois…)

Et puis évidemment sa santé ne s’est pas améliorée… mais toujours une grande et belle dignité. Par contre moi il est vrai que parfois je perdais patience, ne supportais plus de la voir se tenir penchée d’un côté sur son fauteuil (je lui disais de se tenir droite), je voulais qu’elle aille plus vite quand on montait les escaliers par exemple, je voulais la bouster… que j’ai été stupide! Et puis je me suis même surprise à penser ne plus la vouloir alors que maintenant je donnerais n’importe quoi pour qu’elle soit encore là, avec moi… Ce qui m’a mise tant en crise? et bien je me le demande si ce n’est une forme d’égoïsme, de stupidité, de ras le bol aussi parfois, mais surtout …. de peur je crois….

Oui je lui ai demandé pardon et lui ai dit que je ne pensais pas toutes ses méchancetés bien évidemment mais non je ne me le pardonne toujours pas! La dernière semaine à l’hôpital j’étais présente mais pas comme je l’aurais souhaité. M. le disait toujours « dans la vie les choses ne se passent jamais comme on le souhaite » et elle avait une fois de plus raison… Lors de sa deuxième crise de soi disant épilepsie (15 – 20 mn avant le décès) j’ai même dit à l’équipe soignante « il faut que ça s’arrête » et quand je me suis approchée d’elle pour lui dire des mots d’amour je tremblais… Aujourd’hui on me dit de me souvenir des bons moments, mais je ne pense qu’aux méchantes choses que je lui ai dites… En fait autant j’avais une bonne estime de moi – même lorsque sa maladie « se passait bien » (4 ans de leucémie) autant je crois aujourd’hui qu’elle est partie à cause de moi… Ce qui me fait très mal est le fait que je ne la reverrais plus jamais… je sais cependant que nous vivons tous ce genre de situation.

Réponse de Lydia:

Les crises sont un phénomène normale lorsque nous dépassons nos limites, notre seuil du supportable. Vous vous êtes occupé de cette maman de remplacement comme une mère d’un enfant, sans compter. Mais à certains moments cela devient inévitablement trop lourd, même avec la meilleur volonté du monde. Votre réaction de colère m’informe que vous êtes allée trop loin, vous n’avez pas tenu compte de vous. Vous étiez plus à son écoute et de ses besoins qu’à l’écoute de vos propres besoins. Lorsque le poids d’une responsabilité devient trop écrasante, alors tout à coup on n’en peut plus et on a envie de se débarrasser de ce qui nous pèse, pour pouvoir souffler.

Donc tout cela est normal. Je pense comme vous que vous avez aussi eu peur en voyant son déclin. Au fond de vous, vous avez dû comprendre qu’elle s’en allait, et vous vouliez la retenir. En la boostant et l’exhortant, vous n’étiez certes pas au diapason avec son besoin, mais obsédée par la peur de la perdre, ce qui vous a rendu bourreau. Vous êtes en fait très lucide sur votre toute-puissance, cette croyance de l’ego de pouvoir sauver l’autre, d’imposer votre volonté. Et vous n’avez pas supporté la vérité de votre impuissance. Vous lui avez demandé pardon. Ce que je sais des mourants est qu’ils sont aussi devant le bilan de leur propre imperfection terrestre qu’il leur faut admettre. Ils ont aussi besoin de pardon, ce qui leur permet de pardonner.

Le seul problème est que vous ne vous pardonnez pas, c’est-à-dire vous ne vous êtes pas comprise. Dès que vous comprendrez votre comportement inadéquat lié à votre ras le bol, vous arrêterez de vous juger. M. a dû comprendre que pour vous rendre votre indépendance, il fallait qu’elle s’en aille. Comme une mère doit lâcher son enfant pour qu’il devienne autonome, vous deviez lâcher votre maman de substitut. Son départ signifie votre indépendance, laquelle il vous faudra encore conquérir. Sa mort signifie pour vous la nécessité d’évoluer pour sortir de votre dépendance affective. Si la mort de M. vous fait grandir, alors elle ne sera pas morte pour rien !